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ANDRÉ SUARÉS

Au plus tendre de nous, le désespoir ronge ce que le souvenir déchire. Fiancées, fiancées, vous ne savez pas les ardeurs des amantes, et que leurs larmes sont du sang.


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Vous ne savez pas non plus, tu l'ignores encore, toi qui chantes, suave jeune fille, quelle moisson nous avons faite, et quel est ce cortège, là-bas, ouvrant la haie, qui s'avance sur la prairie, portant un trésor caché, comme une châsse dans les blés.

O ma sœur, toi qui es si chaude et la plus pâle, viens dans mes bras, si tu ne veux tomber.

Celui que ces jeunes femmes promènent sur leurs épaules, parmi les fleurs, c'est ton beau fiancé.

Il est mort d'amour pour Notre Dame, entre la mer et la Marne.

Il aimait.


IV

Comme le soleil rougit, d'une dernière effusion, toute la mer verte, on couche le beau jeune homme dans les seigles.

Il est mort. Il est nu, il est blanc dans les épis. Blanche est sa bouche, et ses yeux sont clos comme les portes du jour: silence éternel sur le rire, la lumière et le bruit.

Ses lèvres sont de cendres. La double flamme est morte. Plus de tison. Et la fleur virile est à jamais fauchée. Qu'il est beau, le jeune corps de l'homme! Et le héros est toujours pur.

Elles le baisent toutes, cent fois, suavement, comme on mange le raisin à la grappe; et les unes pleurent; les autres sourient, telles de tendres folles.

C'est moi, l'amant! C'est moi le fiancé, que vous portez ainsi, mes belles. C'est moi, le soc de la terre et le coutre d'amour que vous allez ensevelir dans l'herbe.

Et celle qui eût été mon champ, mourra sans fleurs et sans épis.

Du moins, sauvez-moi de la mort froide et de l'oubli.

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