Poems (Eliot, 1926)/Dans le Restaurant

4560557Poems — Dans le RestaurantT. S. Eliot
DANS LE RESTAURANT
Le garcon délabré qui n'a rien à faire
Que de se gratter les doigts et se pencher sur mon épaule:
"Dans mon pays il fera temps pluvieux,
Du vent, du grand soleil, et de la pluie;
C'est ce qu'on appelle le jour de lessive des gueux."
(Bavard, baveux, à la croupe arrondie,
Je te prie, au moins, ne bave pas dans la soupe).
"Les saules trempés, et des bourgeons sur les ronces—
C'est 1a, dans une averse, qu'on s'abrite.
J'avais sept ans, elle était plus petite.
Ellé était toute mouillée, je lui ai donné des primevères."
Les taches de son gilet montent au chiffre de trente-huit.
"Je la chatouillais, pour la faire rire.
J'éprouvais un instant de puissance et de délire.

Mais alors, vieux lubrique, à cet Age . . .
"Monsieur, le fait est dur.
Il est venu, nous peloter, un gros chien;
Moi j'avais peur, je l'ai quittée à mi-chemin.
C'est dommage."
   Mais alors, tu as ton vautur!
Va t'en te décrotter les rides du visage;
Tiens, ma fourchette, décrasse-toi le crâne.
De quel droit payes-tu des expériences comme moi?
Tiens, voila dix sous, pour la salle-de-bains.

Phlébas, le Phénicien, pendant quinze jours noyé,
Oubliait les cris des mouettes et la houle de Cornouaille,
Et les profits et les pertes, et la cargaison d'étain:
Un courant de sous-mer l'emporta tres loin,
Le repassant aux étapes de sa vie antérieure.
Figurez-vous donc, c'était un sort pénible;
Cependant, ce fut jadis un bel homme, de haute taille.