User:Mathieugp/Drafts/Appeal to the Justice of the State (Letter to the Canadiens)

Mes chers concitoyens,

Me voici depuis sept mois révolus dans le sein de cette capitale d'Angleterre. Ce n'est point le sentiment vif de mes infortunes individuelles qui seul m'y a conduit et qui m'y fixe. Les calamités intolérables, sous le poids de qui gémit en esclave la province de Québec, sont un des principaux mobiles de ma démarche. Je me dois d'honneur personnel à moi-même, une réparation authentique et éclatante des indignités accumulées par la tyrannie sur ma personne; mais le patriotisme, ce point d'honneur national, ne me dicte pas une loi moins stricte et moins sacrée d'essayer de toutes les voies à la portée de mes moyens pour abattre et exterminer ce despotisme en fureur, qui a déclaré et intente tous les jours une guerre si funeste contre la liberté et la félicité de mes concitoyens. Je commence par l'histoire succincte de mes infortunes et du succès des voies que la protection des lois m'a ouvertes pour venger avec éclat les violences de mon persécuteur; et je conclurai par étaler sous vos yeux les ressources puissantes que la constitution et la présente situation politique de l'Angleterre vous préparent pour briser les chaînes qu'un tyran étranger n'a forgées contre vous que parce qu'il n'a jamais saisi l'esprit noble et libre de la nation chez qui il s'est intrus et pour vous assurez par vous-mêmes d'un sort national, à l'abri désormais des atteintes de ses semblables: mes efforts ne sont point ici divisés parce que les intérêts sont d'identité; ma cause est celle de la province de Québec comme celle de la province de Québec est la mienne; aussi osé-je me flatter que le triomphe de l'une sera l'avant-coureur et l'annonce du triomphe de l'autre.

Vous avez tous été les témoins oculaires et les spectateurs effrayés des péripéties sinistres par le ministère de qui le despotisme s'est fait un jeu barbare de diversifier les scènes de ses fureurs, déchaînées contre ma personne: la narration d'ailleurs en est distribuée par échantillons et par parcelles dans le tissu divers de cet appel et réduite en corps d'histoire dans mon mémoire: les redites ne sont pas faites pour un homme sensé qui respecte les moments d'un public éclairé et qui ne se défie pas du cœur de ses semblables. Je suis enfin trop accablé de matière douloureuse pour ressasser les mêmes plaintes et ne faire retentir ici que des accents à l'unisson: mais les événements, quoique les plus simplifiés dans l'exposition, ne décèlent pas les causes des faits, qui, dépouillés des principes qui les ont produits, laissent après eux une obscurité qui souvent offusque la vérité et la justification des innocents qui la réclament; c'est donc à moi de répandre la lumière sur tous les allégués, et de mettre mon innocence sous un jour si brillant, qu'il ne reste plus à mes ennemis que la honte et la confusion de l'avoir sacrilègement attaquée.

Ma nomination de juge de paix date de l'époque même de l'impatronisation des Anglais dans la colonie en vertu du Traité de Fontainebleau: le gouvernement avait donc appris de bonne heure à estimer le caractère de ma personne: j'en appelle ici à vos propres cœurs sur le retour honorable dont je payai cette consistance publique. Le tribunal d'un juge de paix était, dans l'aurore de son institution, une cour de judicature où étaient jugés et décidés en première instance non-seulement tout attentat contre la paix publique, mais toute cause de propriété qui n'excédait pas 3 liv. 15 shillings. Je me fis un système invariable d'être non le juge, mais le médiateur et le pacificateur de mes concitoyens: dans plus d'une conjoncture, je ne balançai pas d'acheter moi-même leur réconciliation, et d'en payer le prix à l'offensé, ne laissant en partage au coupable que le retour peu dispendieux de son cœur à la vertu. Sur ce plan d'administration, moins judicielle que paternelle, j'aurais cru déshonorer le personnage de conciliateur d'accepter jamais d'autre honoraire que l'honneur de l'administration même. Les épices mêmes du clerc de mon office ne furent jamais comptées que de mes deniers.

Le désintéressement d'un juge, qui se pique surtout d'être père, annonce l'impartialité et l'équité de ses jugements. Trois mille sept cent causes décidées à mon office dans le court intervalle de trois mois, sans jamais être renouvelées par appel forment un monument authentique de la gloire que je n'ose ici revendiquer que pour apprendre à mes ennemis, qu'un bienfaiteur public ne méritait ni leur persécution ni leur haine. Mon impartialité à administrer la justice compta quelques imitateurs: mais ce ne fut pas là le sort de mon désintéressement. Je ne prétends pas inscrire en crime contre mes collègues de s'être adjugé des droits d'office dans l'exercice de leurs fonctions: non, les fortunes, communément assez modiques en Canada, ne permettent pas toujours de donner l'essor à la noblesse et à la générosité du sentiment; mais la cupidité d'ascendant, hélas! que trop dominant chez les hommes, vint bientôt multiplier de nombre ces taxes publiques et les amplifier de quantité. Les peuples foulés gémirent; leurs clameurs redoublées s'élevèrent de toutes parts. Il fallait, ou devenir traître au bien public ou se déclarer contre la malversation d'une poignée de collègues: mon choix, dans l'alternative, ne fut pas suspendu un seul instant. C'était à la généralité de mes compatriotes à qui je me devais de préférence: je mis donc sous les yeux du gouvernement l'histoire circonstanciée des abus introduits, dont des informations exactes ne justifièrent que trop la véracité. Le développement de l'injustice produisit bientôt la suppression des juridictions civiles assignées d'abord aux juges de paix. La réforme était outrée: il ne fallait que supprimer les mauvais juges; c'était la faute de la politique réformatrice et non la mienne: aussi cette légère altération de gouvernement, peu heureuse dans ses conséquences publiques, ne me rendit pas les cœurs qui m'avait aliénés mon zèle pour la sage dispensation de la justice. En vain le gouverneur Carleton, son lieutenant-gouverneur M. Cramahé et le juge en chef M. Hey, me firent par leurs lettres, que j'ai publiées, des compliments sur une si heureuse révolution amenée par mes soins; ces compliments même aigrirent mes ennemis. Ce n'est pas la première fois que j'ai été la victime et la dupe de ma façon de penser et d'agir en citoyen.

Mais une si triste expérience ne m'a jamais fait dévier de cette ligne droite de ma conduite, marquée par la probité à tout homme d'honneur et par l'État à tout homme en place. Dans le commerce de la vie civile, le même esprit de bienfaisance a marqué de ses traits tous mes déportements: si les succès de l'affluence sont venus couronner mes essais, ma fortune a toujours été au service de mes amis. Je n'ai point borné l'étendue de mes générosités au cercle trop rétréci de l'amitié: toute l'humanité qui s'est trouvée à ma portée a partagé la mesure de mes dons. Je me suis fait un devoir de souscrire à toute entreprise dans la sphère de l'utilité publique. Le père de famille à la gêne, l'époux en détresse, n'ont jamais fait retentir en vain à mes oreilles les accents de leurs infortunes; le cœur intéressé et gagné ne les a jamais renvoyés les mains vides de chez moi. Une bienveillance si générale n'a pas, il est vrai, toujours été en ma faveur la mère de la reconnaissance; mais l'ingratitude d'autrui n'a jamais autorisé et n'autorisera jamais chez moi l'étrécissement de l'humanité et de la générosité. J'ai été dupe avec de tels principes; je le ferai sans doute encore: eh bien! si la gloire de l'esprit souffre de cette espèce d'inconduite, à l'exemple de Madame la marquise de Lambert, dans son Traité sur l'amitié, je m'en console sur la bonté du cœur qui en est l'âme. Pardonnez, chers concitoyens, l'exposition de ces sentiments: ce n'est point ici un vain étalage de pompe et d'ostentation; l'abîme d'humiliation et d'affliction où m'a plongé l'injustice de mes ennemis, laisse bien peu de ressource et de ressort à la vanité; mais au moins, me dois-je à moi-même d'apprendre à l'Angleterre, pour qui j'écris, les monuments personnels et domestiques, en vertu de qui je méritais un meilleur sort.

Car il n'est que trop vrai que les vertus les plus aimables, les plus justes de la société, ont, dans leurs effets, changé de nature vis-à-vis de moi. Ce sont deux procès gagnés par l'évidence de la justice même qui m'ont valu d'abord le ressentiment du juge et ensuite la persécution des militaires, l'inimitié de toute la judicature et enfin le déchaînement du despotisme d'un gouverneur ambitieux et bien cruel dans son ambition. L'enchaînement et la gradation inattendue de ces infortunes est ici un point digne d'observation et d'inspection pour tout philosophe qui étudie la science de connaître les hommes. Ne bous hâtez point de passer condamnation sur le détail qui va suivre; les plus puissantes raisons en justifieront la sagesse et la nécessité dans le contexte.

En 1770, une sentence juridique avait condamné M. Moïse Hazen à me rembourser de la somme d'environ 50 l. st., dont il était, suivant des titres bien constatés, mon redevable. La main-levée de cette dette active dépendait, pour moi, d'une exécution sur les effets de mon débiteur: je l'obtins; mais le shérif le refusa constamment à la mettre en valeur. Le juge insultant lui-même la sentence, en en abrogeant les conséquences, autorisa la résistance du shérif, tandis que la prédilection, peu d'accord avec les lois, approuva l'exécution en faveur d'un créancier subséquent sur qui j'étais en droit de l'emporter de préférence à titre de priorité de jugement. La justice, son bandeau sur les yeux, ne distingue point les personnes; une acception si partiale était donc à son tribunal un concussion positive et une rapine décidée. Le juge en chef, M. Hey, s'éleva contre l'injustice avec une animadversion sévère, contre le despotisme arbitraire que s'était arrogé le juge subalterne.

C'était l'ex-capitaine Fraser, (du sang du dernier Lord Lovat) qui, dans la guerre de 1756, rangé sous les étendards royaux dans le 60e régiment, avait essayé d'effacer par des services de marque les disgrâces domestiques de 1745 et 1746. Il dépouilla en 1765 le casque et la cuirasse pour endosser la robe longue. La passion ne m'aveugla jamais sur le mérite d'un ennemi à qui je ferai toujours gloire de payer le tribut d'hommage qui lui est dû. Le capitaine, aujourd'hui le juge Fraser, est une homme d'assez bon esprit quand il lui plaît d'en faire usage, doué d'assez belles connaissances, supérieures à ce que semblerait indiquer une jeunesse passée dans les camps et dans les armées: il annonce pas ses manières l'homme d'éducation; d'ailleurs, naturellement juste, quand la haine ou l'amitié ne dictent point ses arrêts. Mais c'est un homme à tics, à caprices, à petitesses; d'une délicatesse qui souvent s'offusque de son ombre; mais surtout si impérieux, si haut, que, s'il monte sur ses échasses (élévation d'accès convulsifs et d'habitude chez lui) du sommet de sa hauteur, il n'apercevrait plus le clocher de St-Paul que dans le fond d'une vallée.

Un juge enflé de sa grandeur personnelle, et entaché encore du levain de la fierté et du despotisme militaire, s'effara de se voir, à mon occasion, l'objet de l'animadversion de son supérieur en magistrature. Son ressentiment couva quelque temps sous l'amas des projets ténébreux de sa colère: un incident le fit tout-à-coup éclore et éclater. Un concours de charrettes, en action et en œuvre autour de la bâtisse d'une église nouvellement édifiée, dans la rue même où est située ma maison, embarrassa sa marche comme il conduisait en triomphe son épouse dans son cabriolet. Un homme qui, dans les délires habituels de l'amour-propre, imaginait que tout devait s'abaisser, s'aplanir et disparaître à sa présence, fulmina de rencontrer ainsi des obstacles sur son chemin. Le fouet à la main, et déjà levé, il se préparait à décharger le poids de sa furie sur un des auteurs; mais le charretier plus savant que lui dans l'art de manier cet instrument de sa profession et en attitude de déployer expérimentalement sa science, amortit d'abord, en brave Canadien, les premières fougues du furibond. J'étais alors à me promener avec des amis sur la galerie qui règne, à l'italienne, sur le frontispice de ma maison. Ma vue, en retraçant à son imagination d'anciens chagrins, donne une nouvelle existence et une addition de force à sa mauvaise humeur présente. Bouillant de courroux, il m'assaillit de paroles, mais sur un ton soldatesque et dragon qui attentait aux spectateurs, foi de politesse et d'éducation, que la violence de la passion lui faisait oublier et ce qu'il était et ce que pouvait être un égal en naissance et son collègue de magistrature.

Dans ces moments de crise où l'honneur est attaqué, un homme d'un certain rang se doit à lui-même, au moins de la résolution et de la fermeté: ce furent-là les interprètes de mes sentiments et les organes de ma réponse, mais sans emprunter le langage ni l'insulte, ni d'un corps-de-garde. Dans une conjoncture de parité à la mienne, le capitaine Fraser aurait trouvé dans son propre cœur la même réponse: mais elle fut dans ma bouche un crime si capital qu'il jura entre ses dents de se venger en donnant à son cheval le signal brusque du départ. Son imagination était si remplie des projets de sa vengeance contre moi que, quelques jours auparavant, dînant chez le colonel, aujourd'hui le général Christie, il ne put s'abstenir d'annoncer aux convives le genre d'exécution qu'il me destinait: Un juge à paix, dit-il brusquement, « a eu l'oreille coupée1; ou coupera la langue à un autre. » C'est à-peu-près le châtiment affecté aux blasphémateurs. C'est ainsi que M. Fraser érigeait, dans la punition, un discours fier et résolu, adressé de représailles à sa personnes, en crime de lèse-majesté divine. De sang froid, peut-être conviendra-t-il que le jugement était outré. Quoi qu'il en soit, à peine s'écoula-t-il quelques jours, qu'il vola chez moi pour être lui-même, en personne, l'exécuteur d'office de la sentence fulminée contre moi. J'étais encore alors sur ma galerie d'où il me somma fièrement de descendre. Je fus à lui dans l'instant; lorsqu'à mon approche, me saisissant d'une main au collet et faisant voltiger de l'autre une canne à balle dans le pommeau au-dessus de ma tête, il faisait mine .... Mais, d'un appareil si menaçant, il n'en résultat, pour l'événement, que deux coups de poing lâchement assenés. Le danger dissipant la surprise, l'indignation et le courage suppléant à la force, ce colosse2 presque désarmé et mal servi pour cette fois par sa longue chevelure, fut terrassé dans la minute, mordant à belles dents la poussière arrosée de son sang qui ruisselait à bouillons sur sa face, gravée par des entamures sur le pavé.

Au milieu des douleurs de la mêlée, il lui resta à peine un souffle de voix agonisante pour appeler à la défense de sa vie des amis respectifs qui accoururent pour nous séparer. Malgré le succès infortuné de la bataille, il n'en était pas moins responsable aux lois de l'attaque, assurément bien roturière pour un homme de naissance et d'éducation militaire; mais elle était son choix, il en était devenu par le sort des armes la victime éclopée pour longtemps. Je dédaignai une satisfaction légale et subsidiaire que la modicité de la fortune et la multitude de sa famille réclamaient bien mieux en sa faveur: car il ne sera jamais au pouvoir de mes ennemis de m'empêcher d'être généreux, même à leur égard.

Il s'en faut bien que le plaisir que goûte l'amour-propre au souvenir d'une victoire n'ait été ici l'âme de mon récit. Non, un triomphe acheté au prix de l'honneur d'autrui et compromettant l'assiette tranquille de son esprit n'est pas un triomphe pour mon cœur; et je respecte le bonheur étranger aux mêmes titres que l'équité naturelle m'autorise à réclamer que, dans l'occasion, on respecte le mien. Mais l'histoire de mon démêlé avec le juge Fraser est tracée sous toutes les couleurs, dans mon mémoire publié depuis peu. Quelques-uns de nos Messieurs Canadiens se sont formalisés, qu'après quatorze ans, je sois allé faire revivre dans les idées des hommes un évènement qui, pour l'honneur du Canada, devrait être enseveli dans les ténèbres d'un éternel oubli. L'animadversion est respectable, au moins dans son principe: elle ne peut partir que d'une bienveillance ou individuelle ou provinciale, qui s'intéresse à la pacification de la province et à la gloire des particuliers qui l'habitent: je lui dois donc une apologie, qui justifie ma publication, au tribunal du patriote et de l'honnête homme.

Qu'est mon mémoire? Un factum où les avocats, chargés de ma défense, doivent étudier l'histoire totale de mes malheurs avec tous les tenants et les aboutissants, capables de répandre la lumière dans une cour de judicature, et de fixer l'innocence ou la criminalité au tribunal des jurés. Or les violences du général Haldimand, dans leur trame, tiennent d'origine à la passion de l'ex-capitaine Fraser, qui, peu content de lancer contre moi ses propres traits, vint, par succession de temps, à bout d'armer en sa faveur ses amis, et d'entraîner par leur ministère dans les complots illimités de sa vengeance, l'inconsidéré gouverneur, qui, dupe d'abord du ressentiment de ses subalternes, l'épousa depuis avec tant de chaleur qu'il n'en fit hélas! que trop, le ressentiment de son propre cœur. D'ailleurs, dans un pays libre, tel que l'Angleterre, pour qui j'écris, et où le despotisme ne marche jamais tête levée, mais s'essaie, tout au plus, de se glisser à la sourdine, on n'imagine pas aisément, qu'il ose ouvertement et insolemment établir son empire dans des domaines de la nation, régis sous les auspices de la même constitution, et munis des mêmes droits: isolées donc et dépouillées des causes étrangères qui les firent naître, les oppressions dont je me plains ne se seraient concilié, dans mon récit, que l'incrédulité de mes lecteurs où, si elles avaient porté la conviction dans les esprits, ce n'aurait pu être qu'à l'inculpation de ma personne qu'on aurait justement suspectée de les avoir méritées, par quelque inconduite, dérobée, par l'infidélité de l'amour-propre historien, à la connaissance du public: taire mon différend avec M. Fraser, aurait donc été trahir les intérêts de la vérité, les informations de la justice, et les titres les moins récusables de mon innocence: il n'est point d'équitable tribunal, où l'honneur d'un ennemi, à sauver aux yeux du monde, puisse exiger de moi de si grands sacrifices.

Le même esprit de censure s'est inscrit contre la publication des témoignages de quelques particuliers, qui, dans le cour des évènements, s'ouvrant confidemment à moi, se trouvent aujourd'hui compromis par la manifestation publique de leurs sentiments, qu'ils ne prétendaient communiquer qu'à moi-même. si c'est des égards, dûs à mes amis que la critique s'occupe ici, elle n'a qu'à se tranquilliser. Je réponds de leurs intentions; l'honneur, l'amour de la justice, le zèle de la vérité, sont tous prêts à donner, par leurs bouches, dans le centre de la judicature, leurs dépositions en ma faveur; l'honneur, l'amour de la justice, le zèle de la vérité, ne peuvent se formaliser que je les aie fait connaître d'avance. Quant à ces âmes vulgaires, chez qui la politique ou l'intérêt décident de l'équité ou de l'injustice, de l'amitié ou de la haine, ma cause n'a rien à espérer d'eux, ni rien à en craindre: elle n'a besoin que des services nobles et francs de la pure vertu, elle dédaigne de tout le reste. Voilà ma justification générale, pour toutes les animadversions de cette nature; la droiture ne peut manquer d'y souscrire de son approbation; c'en est assez pour moi. Je reviens à ma narration, ou je ne fera désormais qu'effleurer les évènements, sur qui l'expérience des yeux vous a suffisamment instruits.

La guerre ouverte que la passion du juge Fraser m'avait intentée, ne finit pas à notre bataille, ou plutôt à sa défaite; elle prolongea contre longtemps ses fureurs; le 30 d'octobre de cette même année, 1771, j'étais à souper chez moi, dans la compagnie de quelques amis quand une grosse pierre, lancée avec impétuosité contre la porte vitrée de l'entrée de ma maison, brisant la glace, fracassant le barreau et perçant les volets de toile, vint tomber aux pieds des convives. À ce fracas je volai à la découverte des assaillants; mais à peine eus-je entrouvert la porte que je fus salué d'une décharge de pistolet ou de quelque autre arme-à-feu dont la balle, sifflant à mes oreilles et glissant le long de ma personne, alla s'imprimer et s'enfoncer de violence dans le côté de la muraille opposée. Le mauvais temps obscurcissant alors tout crépuscule et redoublant les ténèbres de la nuit me déroba la vue des assassins. J'avais et j'ai depuis découvert plus d'une fois, les domestiques du juge Fraser rodant à des heures indues autour de ma maison et qui s'échappaient toujours par une suite précipitée à ma découverte. Une suspicion corroborée par toutes ces circonstances aurait suffit, dans un cas similaire, pour s'assurer de ma personne et de celles de tous mes gens: mais la justice du gouvernement de Québec a deux balances, l'une pour les crimes et l'autre pour les personnes: si ce sont les crimes qui communément y inculpent les personnes, c'est est assez bien souvent de la qualité des personnes pour y absoudre des plus grands crimes; c'est le règne des personnalités et de la partialité où la vertu est bien exposée.

L'amas des neiges qui s'accumulent au milieu des rues de nos villes du Canada durant les longs jours de l'hiver, fait une loi de nécessité de pratiquer des tranchées autour de nos maisons pour ouvrir une issue à l'écoulement des eaux et obvier aux inondations des premiers dégels: le capitaine Gordon, dont le nom annonce l'unité de patrie avec le juge Fraser, versa, de son traîneau canadien, dans le fossé, en doublant nuitamment le coin de ma maison; c'est-là en Canada un accident de tous les jours auquel la plus légère inégalité de terrain peut donner occasion et qui rarement tire à conséquence: aussi les dames elles-mêmes s'en font-elles ordinairement une petite comédie et un jeu; mais la délicatesse et les petites formalités s'allient quelquefois avec les armes; le capitaine renversé, mais heureusement bien relevé, vola de grand matin, chez l'ami, où il avait passé la soirée pour lui étaler le récit de la piteuse aventure.

Cet ami était le juge Mabane, ami intime et grand partisan du juge Fraser et dont je me réserve à esquisser le portrait en original quand la phalange de la judicature, soulevée et marchant en corps d'après les traces militaires, viendra figurer dans le tissu de ma narration; il décida que le droit naturel ne m'autorisait pas de m'armer ainsi de précaution contre les inondations du printemps, quoique tous les citoyens jouissent sous ses yeux du même privilège et que j'eusse poussé la circonspection jusqu'à ne pas étendre ma rigole au-delà trois pieds. Ce n'étais pas dans sa capacité judicielle, et actuellement assis sur les tribunaux qu'il prononçait cette sentence partiale: il ne jugeait qu'en vertu de son inconséquence individuelle, vide alors de toute autorité pour sortir son effet; mais il n'en fallait pas tant pour inviter un militaire à la vengeance personnelle. L'officier vole sur le champ à un corps de garde; il détache un sergent et un piquet de soldats qu'il trouve sous la main: la tranchée est bientôt comblée; des piles de neige sont élevées en face de ma maison; la conséquence en fut une inondation immédiate de mes caves et la détérioration des liqueurs qui y étaient en dépôt.

Je présumai que la vue du dégât adoucirait la mauvaise humeur de l'auteur et amènerait sa bienfaisance à donner les mains à l'ouverture d'une nouvelle rigole; je l'invitai donc, à la première rencontre, de venir en être de ses yeux le témoin. Ma présomption faisait honneur à son cœur; mais elle ne me valut qu'une déclaration en bonne forme, de sa part, du plaisir délicat qu'il goûtait en apprenant de ma propre bouche qu'il était vengé de sa chute: je frappai inutilement à bien des portes avant d'être réinstallé dans ce droit que la nature donnait de sauver mes biens du naufrage: il me fallut réclamer enfin l'autorité du commandant en chef des forces de Sa Majesté dans la province, le colonel Johns; et avant même qu'elle décida en ma faveur, j'essuyai un nouvel acte de provocation et de violence de la part des troupes en garnison à Montréal.

Un détachement d'un quarantaine de soldats, tambours battants et fifres résonnants, allait, selon l'étiquette, relever la garde: au lieu de diriger leur marche par la route ordinaire de la rue, ils escaladèrent en conquérant ma galerie, paradant avec fracas le long de ma balustrade et brisant en passant quelques vitres et les contrevents. Une si brusque incartade sema la terreur et l'épouvante dans tous les quartiers de ma maison. Mon épouse, alors enceinte, en fut la triste et la dernière victime: l'épouvante la fit tomber en syncope: la fièvre, accompagnée d'un crachement de sang, la saisit; elle ne fit depuis que languir, dans le sein des douleurs, jusqu'au mois de décembre suivant, qu'elle expira dans toute la fleur de sa jeunesse. C'est ainsi que la galanterie militaire se joue impunément, en Canada, de la vie des sujets de Sa Majesté.

Un si lamentable évènement sembla amortir pour quelque temps la furie des conjurés; mais leur rage renaissance prit de nouveaux efforts et se signala par des attentats qui pour le coup défiaient hautement les lois. Durant la nuit du 8 avril, 1779, je fus éveillé en sursaut par le vacarme d'un assaut violent, qui se donnait du dehors contre ma maison: me précipitant, à l'instant, sur mes habits et sur mon épée, je volai jusqu'au milieu de la rue où je distinguai pleinement sept à huit hommes armés de haches et de casse-têtes, qui, exerçant toute la vigueur de leurs bras à taillader et hacher par morceaux les balustres de ma galerie, disparurent comme un éclaire à mon approche. J'atteignis celui qui se trouvait derrière et je le relâchai, comme il se réclamait à moi pour un passant qui n'avait été que d'accident le spectateur de l'outrageante scène qui venait de se jouer. Le silence de la nuit ayant repris son calme, je me flattai que le siège était fini: point du tout; les opérations recommencèrent et l'assaut fut renouvelé par deux nouvelles tentatives. J'en fus réduit à monter moi-même la garde, avec tout l'appareil dressé d'une vigoureuse résistance: mais les lâches n'étaient venus que pour abattre du bois sans danger; ils désertèrent du champ de bataille dès qu'ils suspectèrent qu'il était question de se battre.

L'aurore du jour vint enfin éclairer les tristes reliques des opérations de la nuit: soixante et deux balustres de ma galerie, charpentés et en pièces, couvraient les avenues de la rue de leurs débris et annonçait aux Canadiens les tragédies dont ils pouvaient être menacés chez eux. Quel gouvernement que celui où nos foyers domestiques ne sont pas des asiles sacrés pour la sûreté des personnes! Mais trêve de réflexions; les faits se succèdent ici rapidement les uns sur les autres; ils accablent autant par leur multitude qu'ils révoltent par leur indignités. C'est aux conducteurs de l'État à suppléer ici à l'inactive attention du gouvernement de Québec et à assurer au Canada un plus heureux avenir, à moins que les uns et les autres ne visent à réduire les nouveaux sujets de se retrancher dans leurs forteresses domestiques et de s'y tenir toujours prêt au combat; et alors que de ruisseaux de sang! .... Mais n'anticipons pas sur la catastrophe; j'en dis assez pour la prévenir, si on le veut, comme on le doit, au Canada, à l'Angleterre et à l'Europe entière, qui ne se doute pas d'une malheureuse colonie conquise ait été convertie par les conquérants en coupe-gorge général ou les citoyens ont à trembler pour leurs vies jusque chez eux.

Cinq semaines après tous ces attentats, huit à neuf soldats, armés de leurs baïonnettes, vinrent à deux heures du matin, non plus faire main basse sur les ornements extérieurs qui décorent le frontispice de ma maison, mais sur la maison elle-même: ils paraissaient pour cette fois résolus à s'y ouvrir de force un passage, ou par l'entrée ordinaire ou par les fenêtres; heureusement, les portes et les contrevents étaient en fer; ils ne purent les forcer sans vacarme et sans fracas: mes gens éveillés sonnèrent l'alarme et ces braves militaires lâchant pied, cherchèrent leur impunité dans la fuite. À l'époque de cette dernière attaque, j'étais allé faire un tour dans ma seigneurie de la rivière David; c'était là partout le même spectacle de dévastation et de désolation qui dégradait les avenues de ma maison de Montréal: trois de mes plus beaux chevaux avaient été massacrés à coup de couteaux dans mes écuries; les bêtes à cornes et autres animaux domestiques avaient été blessés et mutilés par les mêmes armes: l'image du dégât était peinte partout sous les plus hideuses couleurs.

Un des plus illustres et des plus vertueux pairs d'Angleterre, frissonnant à la lecture de tant d'assauts donnés chez moi, cherchant à soulager son patriotisme, me demandait froidement, si ma maison n'était pas construite dans l'enceinte écartée de quelque vaste forêt où quelque troupe troupes de bandits, ou des bandes de sauvages brutaux, eussent pu ainsi aller l'assiéger, les armes à la main et la rage dans le cœur. « Non, Milord », lui répliquai-je, « ma maison est située dans le centre même de Montréal; les sauvages, ces enfants tout bruts de la nature, ne déshonorent jamais dans leur raison le règne de la paix par les crimes de la guerre; les acteurs de ces tragiques évènements sont les hommes mêmes que la nation soudoie pour être d'office nos conservateurs et nos défenseurs. Ah! » reprit-il, d'un ton douloureux et lugubre, « il n'est que trop vrai, hélas! que nous sommes assez savants dans l'art de combattre vaillamment et de conquérir avec succès; mais nous sommes bien peu avancés dans la science pratique de gouverner ces conquêtes. Les mains à qui nous les devons d'origine immédiate sont celles-là même que nous choisissons communément pour les régir au retour de la paix; mais des mains si souvent teintes de sang, sont-elles donc faites pour guérir elles-mêmes les plaies qu'elles ont antécédemment faites dans les cœurs des nouveaux sujets? Le despotisme, dont les militaires prennent l'esprit et l'habitude au milieu des camps et des armées, ne continue-t-il pas à les inspirer quand ils gouvernent? Voilà le système manqué d'administration qui détruit tout le prix national de nos victoires; elles multiplient le nombre de nos sujets sans nous donner, dans la suite, peut-être un seul ami; j'espère que notre législature, après avoir concouru par sa sagesse à rendre nos armes glorieuses au dehors, s'étudiera à rendre nos conquêtes profitables au dedans, par le sentiment de leur bonheur, sagement concerté par la bienfaisance d'un gouvernement. » Passez-moi ce trait, hors d'œuvre peut-être, mais d'un cœur bien anglais et bien digne de l'être. Je reviens.

En résultat de toutes les violences, dont je n'ai fait qu'esquisser les horreurs, deux réflexions s'élèvent du sein de la surprise dans les esprits: Pourquoi le gouvernement de Québec n'a-t-il pas vengé avec éclat tous ces outrages flagrants, faits à sa vigilance et sa justice? Pourquoi, réparant cette coupable indolence de l'administration, n'ai-je pas déféré moi-même aux tribunaux de judicature, des transgressions publiques qui attaquaient la sûreté de toute la province? car les criminels n'ont pas pu tous échapper à mes recherches.

Je réponds: après deux attaques différentes, je dépêchai à l'éditeur de la gazette de Québec deux paragraphes respectifs qui annonçaient une rétribution assez considérable en faveur des intelligences légales fournies pour la découverte et la punition des coupables. La presse dans la province est sous la dictée arbitraire du gouvernement; l'autorité les supprima tous deux. Un gouvernement qui se refusa à la connaissance des criminels ne s'embarrasse guères de les punir; mais pourquoi cette indolence affectée? M. Théophile Cramahé, lieutenant-gouverneur à l'époque de ces deux suppressions, réside aujourd'hui dans le sein de l'Angleterre au voisinage de Richmond; il ne dépend que du ministère de s'éclairer sur ce mystère d'État; mais en attendant voici l'information que je dois moi-même à toute l'Angleterre: c'était un magistrat que le tribunal du public suspectait tout d'une voix, comme le coupable présumé de tant de violations. Il n'était d'ailleurs question que d'une victime canadienne, qu'on avait conjuré de ruiner, et même d'immoler. L'honneur de la magistrature, qui aurait été terni par l'enquête seule, était bien de toute autre conséquence, que la fortune et le sang d'un nouveau sujet. Ainsi du moins sembla le prononcer le gouvernement de Québec, par son inaction et son silence, à la face de toute une province.

Quant aux poursuites criminelles de tant de conspirateurs déchaînés que j'aurais dû, pour l'existence de la société, livrer en victimes à toute la sévérité des lois, c'est en effet une ressource de réserve pour tous les opprimés; mais comme civilement excommuniée, ma personne fait ici rang à part, dans la jouissance de ce droit de recours à la judicature que l'adroite vengeance de mon ennemi en chef avait bien su me couper d'avance et m'arracher subtilement des mains, du moins pour le succès. Sous les auspices de la recommandation de sa première profession, M. Fraser commença par armer contre moi, en faveur de ses passions, des légions de ses anciens collègues d'armes; par l'influence de l'ascendant de sa dignité présente, il finit par soulever contre moi l'infirme et débile bande de ses confrères à longues robes. Je l'appelle informe et débile relativement au nombre; car tout le corps de la judicature de la province de Québec n'est aujourd'hui qu'une petite coterie raccourcie et mutilée, un tripot diminutif de sept à huit membres, qui réduits à une stricte déduction, c'est-à-dire à leur juste valeur réelle, ne forment qu'une espèce de Trinité mimique en théorie, d'un seul juge en trois personnes.

Mais cette Trinité, de si mince conséquence dans l'appareil, est formidable par l'étendue de sa puissance; car c'est sont autorité seule, (sans l'interposition des jurés, méconnus dans la jurisprudence française) qui décide en despote arbitraire, et en dernier ressort des propriétés, de l'honneur et des vies de plus de 100 000 sujets: j'ai dit, en dernier ressort; car la modicité des fortunes à Québec marque, presque du sceau de l'impossibilité générale tout appel, trop coûteux, à la juridiction d'Angleterre. Encourir donc la disgrâce et la persécution de cette épouvantable trinité, c'est ne pas être un seul moment assuré, je ne dis pas seulement de la plus ample fortune, mais de son existence même. Ont sent assez que la personne du majestueux juge Fraser, encore resplendissante de l'éclat toujours vivant de ses premiers lauriers, est le chef de ces formidables trinitaires: ses deux associés honorables (titre d'étiquette) sont M. de Rouville et M. Mabane. Je dois au Canada souffrant, et à toute l'Angleterre mal instruite l'esquisse de ces deux hommes, singuliers dans leurs espèces.

M. de Rouville est un gentilhomme canadien, mincement initié dans les mystères de la jurisprudence française et, à ce titre, personnage peu compétent pour la judicature; mais d'un génie si impérieux, d'un caractère si superbe, d'une humeur si identifiée avec le despotisme, qu'elle se trahit partout, non seulement sur les tribunaux de justice, où elle peut dogmatiser et trancher de la souveraine, sans contrôle, mais dans le commerce même de la vie civile, et jusque dans le sein de sa famille. Au reste, homme tout paîtri et boursouflé des prétentions de l'amour propre, préoccupé de ses prétendues lumières, entier dans ses jugements, intolérant de la plus juste et de la plus humble opposition, grand formaliste, partial, non seulement de système réfléchi, mais d'instinct, assez chaud pour ses amis, que j'appellerais plus pertinemment ses clients et ses protégés, mais tout de flammes et de volcans contre ses ennemis, que son âme, naturellement vindicative, ne juge jamais assez punis.

Tel avait éclaté M. de Rouville sous le gouvernement français, où, assis sur les fleurs de lys des Trois-Rivières, il se concilia l'estime de bien peu de ses concitoyens, la confiance et l'amitié de personne; aussi son élévation à la dignité de conservateur de paix, en 1775, et depuis de juge des plaidoyers communs à Montréal, fut-elle reçue comme un coup de foudre en Canada, pour qui elle était l'annonce et le précurseur du despotisme, qui allait désormais présider aux oracles de la justice, et y dicter les arrêts de sa partialité et de sa faveur. Les appréhensions publiques n'ont été, hélas! que trop justifiées par l'événement. Voilà ce Monsieur de Rouville, que la nature avait si fort rapproché de M. Fraser, dans la fabrique des âmes, toutes paîtries du levain du despotisme, que l'unité d'office lie d'intimité et de sentiments avec lui, et que des passions communes associèrent à sa vengeance contre ma personne. Ces deux amis se promenaient gravement ensemble dans la grande rue de Montréal, quelques moments avant que M. Fraser vint, non pas me présenter le défi en gentilhomme, mais m'assener des coups, en plébéien de la classe la plus ignoble; ils paraissaient enfoncés dans les abîmes de la plus sérieuse consultation; sans doute qu'on y décidait des arrangements de l'exécution, qui se couvait: c'est bien dommage que M. de Rouville ne vînt pas, de compagnie, partager les éclaboussures de la mêlée; peut-être aurais-je eu encore un demi-bras à son service, du moins l'aurait-il mérité à bien bon titre.

Le juge Mabane est un original si singulier, si unique, qu'il compte bien peu de copies: c'est un homme qui n'est jamais lui-même dans ce qu'il paraît au dehors; il ne s'offre partout qu'en masque; magistrat à Québec, et sage-femme juré à Édimbourg, c'est là qu'il a pris ses grades de docteur en jurisprudence française, dans les écoles de chirurgie. Chez lui ce n'est point communément le cœur qui décide de son amitié, ou de sa haine; c'est l'esprit national, et cette nationalité va d'autant plus loin dans ses vengeances qu'il imagine avoir toujours tout le corps de ses compatriotes à venger avec lui: si des intérêts de passion personnelle viennent encore s'allier et renforcer le ressentiment de nation, le dénouement de la scène vindicative ne peut se développer que par la ruine de la victime, ou par le désespoir éclatant du vengeur. Un tel personnage était le dernier homme, que la sage politique aurait dû montrer, surtout en place, dans une conquête. Son tempérament semble l'incliner vers la méditation, la contemplation; on le prendrait pour un philosophe, un être pensant: point du tout; ce n'est qu'un esprit inquiet qui se démène et qui s'agite; et son humeur bourrue et brusque, jointe à une mine naturellement grimaçante, annonce qu'il n'est pas toujours d'accord avec lui-même; comment le serait-il avec les autres? Ses inclinations pencheraient assez vers l'économie; mais il rassemble sur sa tête cinq à six places, la plupart de judicature: la vanité fait les honneurs de chez lui, il ne thésaurise point: en fait de hauteur naturelle, et d'arrogance impérieuse, il pourrait bien aller de pair avec ses deux collègues; mais l'intérêt le dénature encore ici, et le rend souple, flexible, rampant, surtout auprès des grands: il était né sans fortune; les places y suppléent, et la lui donnent; voilà ce qui en fait tout à la foi un des plus lâches et des plus adroits flatteurs, qui aient jamais obsédé les palais de la grandeur; c'est à la faveur de cette flatterie habile, qu'il s'était concilié les bonnes grâces des deux premiers gouverneurs; mais comme rien n'est naturel chez lui, et que tout n'est que circonstance, il trahit à leur départ la cause de ses deux protecteurs; sans doute qu'il prépare la même marche de tergiversation au gouverneur d'aujourd'hui, ce sera le comble de l'ingratitude; car M. Mabane est le conseil, le confident, et la règle du général Haldimand, qui n'est que la dupe de son subalterne, et ne gouverne qu'en second, sous la tutelle et la dictée de ce favori: je devais à la justice de ma cause le portrait achevé de tous ces juges; ma narration ne sera plus suspendue par des digressions de cette nature, que la nécessité seule a pu arracher à mon pinceau.

Voilà donc le trio redoutable qu'une querelle injuste dans tous ses points avait mis à mes trousses. Ils tiennent dans les mains les rênes de toute la judicature de la province; j'aurais eu bonne grâce de déférer les attentats déjà mentionnés à des tribunaux où les juges constituaient formellement ma partie adverse. Hélas! dans les causes civiles, où je n'avais à lutter en judicature que contre des individus étrangers, l'évidence la plus frappante des plus beaux droits ne me garantit jamais d'une défaite; et un procès intenté contre moi était l'avant-coureur invariable d'une sentence de condamnation, prévarication, dégradation de la justice, que mon avocat, M. Jenkins Williams, homme à quelques talents, élevé depuis aux premiers emplois, déplorait amèrement dans une de ses lettres, où il m'avisait ingénument, de renoncer pour jamais à me réclamer de la protection des lois civiles, sous une telle administration.

Voici l'extrait de sa lettre, publiée dans mon mémoire: « Je vous plains de plus en plus; car je vois toujours placés M. Fraser et M. de Rouville, (qui sont tous deux vos ennemis) pour juges à Montréal; je crois fermement que vous serez obligé de prendre le parti de vous arranger, et de terminer vos affaires de commerce à Montréal à cause de l'inimitié de Messieurs Fraser et de Rouville. » Quelle douloureuse situation pour un honnête homme de voir son innocence, son honneur, sa fortune et sa vie même livrés, sans ressource, à la merci de la rage de ses ennemis travestis en juges, c'est-à-dire ceux qui, de délégation de la part de l'autorité publique, devraient être en personne les défenseurs et les protecteurs de mon innocence, de mon honneur, de ma fortune et de ma vie? Quel encouragement à la passion, de me déclarer la guerre et m'accabler? Dans ces jours malheureux de la perversité humaine, la malice des hommes avait-elle besoin d'une telle invitation pour se mettre en action contre moi? Je laisse au jugement du public à pénétrer jusqu'à quels excès elle a dû se porter contre ma personne; et au cœur de tout honnête homme à faire l'honneur à l'humanité de les déplorer.

En proie à de si violentes oppressions, je ne pus me refuser à la consolation naturelle de soulager mon cœur en portant mes plaintes au tribunal de mes persécuteurs mêmes, dans une lettre adressée aux juges des plaidoyers communs de Montréal, que je fis insérer dans la gazette de cette ville: cette lettre n'énonçait que les accents douloureux de la souffrance, sur un ton, il est vrai, lugubre et lamentable, mais modifié et adouci par l'organe de la modestie, et réglé par la mesure de la modération elle-même: mais non; les simples soupirs sont des crimes au tribunal des tyrans; et il faut au triomphe de leur tyrannie, que la victime immolée exulte sous le couteau du sacrifice, et exalte la barbarie même des sacrificateurs. Je n'éprouvai que trop l'étendue de ces prétentions. À la publication de ma lettre, les juges des plaidoyers communs prirent feu; à un dîner donné par M. de Rouville à ses confrères, il sonnèrent l'alarme chez toute la judicature de la province, qu'ils prononcèrent sacrilègement outragés et foulée aux pieds, dans leurs personnes, à la dégradation de la couronne même, dont ils étaient les députés immédiats et les agents publics.

En conséquence, le procureur général intention, à leur requête, au nom de Sa Majesté, une action criminelle contre ma personne, comme coupable de libelle diffamatoire; et ayant encouru, de fait, les châtiments affectés aux libellistes; cette accusation fut déférée à la Cour suprême de la province, le Banc du roi, alors sous l'administration de commissaires députés durant l'absence du juge en chef, M. Livius et jugée par un juré spécial, choisi par mes parties adverses dans la classe des plus notables citoyens de la ville. M. de Rouville, dégradé alors en accusateur, donna à la Cour sa déposition, qu'il corrobora du seau du serment le plus solennel: mais les jurés vénérables, qui n'avaient apporté sur leur sièges que l'amour de la justice et de la vérité, que des cœurs droits et vertueux, après quelques moments pour se concerter dans leur jugement, sans appeler même un seul des dix-sept témoins que j'avais à produire, n'hésitèrent pas un seul moment de prononcer, d'une voix unanime, l'accusation frivole, controuvée, dénuée de tout fondement, et de m'absoudre de tout délit.

Ce jugement attestait authentiquement, que mes dénonciateurs avaient, dans leurs témoignages, évidemment faussé la vérité, et que, s'ils avaient eu eux-mêmes à prononcer dans leur capacité ordinaire de juges, ils auraient violé la justice; les voilà donc flétris dans leur caractère public. M. de Rouville sentit toute l'infamie de cette flétrissure; partant, en forcené, de l'assemblée, il courut au milieu des rues de Montréal annoncer, avec ces gesticulations emphatiques qui sentaient son déclamateur ordinaire et son baladin, que M. du Calvet « ne tarderait pas à payer cher son triomphe, et que sous peu ils trouveraient les moyens de se venger de M. du Calvet, et de lui faire éprouver leur ressentiment. »

M. Mabane, en qualité de commissaire député, avait présidé à la Cour qui m'avait justifié. Le jugement des jurés avait donné un démenti formel au rapport préliminaire, et aux conclusions qu'il avait délivrées aux jurés par l'organe de M. Williams, devenu alors son collègue, comme juge commissaire et orateur véhément contre ma personne, à la surprise générale de l'audience et de tout le barreau réuni: au fond, M. Mabane n'était ici que simple accessoire à la honte de ses collègues; il s'érigea en général de la vengeance. Quelques jours après la décision, M. MacGill, négociant respectable et commissaire de paix, s'élevait dans une conversation contre l'iniquité des juges, qui m'avaient suscité ce procès. M. Mabane s'écria avec audace, « J'aviserai bientôt des moyens de réduire ce réfractaire à la judicature, et de le claquemurer, pour le reste de ses jours, dans l'obscurité d'une prison. » Les plus superbes potentats tempèrent, aux yeux des peuples, l'annonce de leur autorité par ces expressions modifiées, « Nous aviserons »: pour un échappé, un adjoint d'Esculape, un chirurgien de garnison, de la naissance la plus vulgaire, ce n'était pas assez que du langage politique et poli des rois: « J'aviserai; », voilà son terme: l'insolence de ce favori peint ici, d'un seul trait, sous toutes ses faces, le despotisme général qui taille, tranche et sabre tout dans la province. Quelle indignité, quel outrage à tout un peuple! mais le comble de l'indignité et de l'insulte publique est que ce nouveau despote, à lancette au lieu de sceptre, ait été en passe de réaliser ses insolentes menaces: car il s'avisa si bien, qu'entre l'annonce et l'éclat de son ressentiment, il n'y eut d'intervalle de séparation, que la distance de son arrivée à Québec. Dès son apparition dans cette capitale, ma perte fut jurée au château de St-Louis; et le général Haldimand, représentant d'un roi d'Angleterre, dupe des suggestions de la flatterie et de l'imposture, ne rougit pas de s'installer lui-même le général, le ministre en chef, des vengeances d'un infidèle chirurgien.

À peu près à cette époque, je fus appelé à Québec, pour une reconnaissance légale, dans laquelle je devais entrer à la Cour d'appel: l'obligation pouvait se contracter par procuration; mais ce n'était pas à mon représentant que la tyrannie en voulait; il lui fallait ma personne pour consommer le triomphe de ses injustices. Ici la catastrophe commence, et les foudres de la conspiration éclatent. Mon affaire de commerce terminée à Québec et à la veille de mon retour à Montréal, j'allai payer au gouverneur mon tribut de compliment, d'étiquette et de forme, en faveur de sa dignité.

La franchise et la bonne foi sont le caractère distinctif de la nation suisse; mais dénaturé par les suggestions et l'influence de son confident, M. Haldimand, en homme double et faux, me surchargea de politesses, tandis que, sous ces beaux dehors, il lâchait l'ordre en vertu duquel je devais être arrêté à la mi-chemin de mon voyage. Il semble à la raison et à l'équité naturelle que c'était, sinon au palais du gouverneur, du moins au sortir du château, qu'on aurait dû s'assurer de ma personne: mais, en fait de vengeance, la rage de la passion voit plus loin que la raison; et quant à l'équité, elle ne la connaît pas: il fallait à mes ennemis le plaisir délicat de me voir traîner mes fers à travers une bonne partie du Canada habité et marquer tous les lieux de mon passage de l'infamie de ma captivité: ce fut donc entre les Trois-Rivières et la pointe du Lac, que le rendez-vous fut assigné pour ma prise.

Je ne rappellerai pas ici les théâtres divers, où l'on me promena dans les prémices de mon emprisonnement: je les ai cités ailleurs; j'épargnerai donc à l'humanité de renouveler toutes ses douleurs, par l'exposition nouvelle de ces attentats, qui doivent aujourd'hui faire horreur à mes persécuteurs eux-mêmes: au moins, le raffinement de cruauté dont ils marquèrent successivement les longs jours de ma captivité, atteste-t-il, sur des faits parlants, leur sanguinaires intentions; ils n'étudiaient avec tant d'art le choix de mes supplices, que pour couper plus sûrement la trame chancelante de ma vie; ils auraient lu sur l'épitaphe de mon tombeau, l'acte d'impunité pour leurs barbaries: voilà la dernière consolation qu'ils croyaient se préparer; mais la Providence, de la même main dont elle éprouve l'innocence, tient souvent de l'autre, en réserve, sa conservation pour le châtiment des coupables.

Contre leur attente, mon existence résista toujours aux efforts réunis sourdement, pour la détruire par gradation. On se retrancha donc à se faire un système capital et suivi de ruiner de fond en comble ma fortune; car réduite aux seules armes de ses pleurs, l'indigence ne peut rien contre les tyrans, pas même en loi, où, si la justice elle-même ne coûte rien, les procédures pour la faire parler se paient au poids de l'or. C'est dans ces vues, que durant les longs jours de mon emprisonnement, on livra chez moi mes biens au pillage, sans jamais condescendre à la nomination d'un administrateur pour les régir. Ce ne fut pas assez: pour accélérer la consommation de ma ruine, on jeta un interdit général sur toutes les causes où j'étais en droit de me porter pour plaintif; mais on invita tous mes ennemis à me poursuivre en judicature, dans toutes celles où je ne pouvais figurer qu'en défendant, bien entendu qu'on se réservait le droit de me couper habilement tous les moyens d'une juste défense.

L'audace d'une telle injustice n'éclata jamais sous des traits plus noirs, que dans mon procès avec mon ancien commissionnaire: je ne le fais revivre ici, que pour le confronter avec la loi primitive qui le condamnait dans l'origine. Ce fut un dimanche, qui dans tous les empires chrétiens, invalide, par solennité, toutes les procédures civiles, c'est, dis-je, dans ce jour sacré, qu'on m'intima dans ma prison une assignation pour comparaître en cour le lundi, quoiqu'une baïonnette en faction fut apostée pour combattre contre cette comparution; ce ne fut que le lendemain, dans la matinée destinée pour le jugement, que j'eus le temps de charger un avocat d'intervenir à ma place. L'homme de loi plaida son ignorance de ma cause, qu'il n'avait en mains que depuis quelques heures; et sur ce fondement de notoriété publique, il conclut par la requête d'un délai jusqu'au terme de huit jours.

Le furieux M. Mabane, un des juges, s'éleva à grands cris contre l'appointement de cette requête, prononçant dans sa colère, que quelques heures suffisaient à un avocat pour se mettre au fait d'une affaire de commerce, quelque épineuse et embrouillée qu'elle pût être, et que d'ailleurs la cour ne devait aucune concession judicielle, à un prisonnier d'État déjà sous les lois militaires de l'État. Sur cette jurisprudence de la nouvelle fabrique de sa passion, il conclut à me condamner sur le champ, sans appel même et sans délai d'exécution. Le général Haldimand, qui ne siégea jamais sur les tribunaux que dans ce jugement, ne rougit pas d'être, en président subalterne, l'écho d'une sentence si atroce, qui, dans l'exécution, m'enleva autour de 5000 liv. st. clairs de ma fortune dans cette affaire.

Puisque ce sont les lois françaises qui règnent aujourd'hui dans la province de Québec, je défie d'abord le général Haldimand de produire, dans toute l'histoire de France, un seul exemple d'un prisonnier d'État jugé pour une cause civile particulière, durant tout le cours de sa captivité: il est alors sous la garde, sous la protection spéciale du souverain, qui, tandis que d'une main, en chef de la nation, il s'assure au préalable de sa personne, pour la sûreté de toute la nation même, de l'autre, en protecteur, en père de ses sujets, individuellement pris, le protège contre tous les adversaires qui ne pourraient alors l'attaquer qu'avec une supériorité d'avantages, dont le priveraient les restreintes de sa captivité: c'est l'État en corps qui alors se plaint, accuse et requiert un jugement définitif; dans l'attente, nul tribunal qui osa pousser l'inconséquence et le disrespect jusqu'à faire précéder une vengeance particulière à la vengeance de l'État, assurément le premier en titre et sur les rangs, pour obtenir justice. Eh! de quoi s'avise le général Haldimand, de s'ériger en oracle de la jurisprudence française, s'il ignore la première loi de la constitution de France?

Mais c'est à son substitut, M. Mabane, que j'adresse ici, avec une indignation plus réfléchie et plus juste, mes plaintes et mes reproches, parce que le gouverneur n'est, en vertu de sa dignité, qu'éminemment juge, c'est-à-dire de titre, et non de jugement effectif, mon seul cas excepté: mais M. Mabane s'assied tous les jours, d'office, sur les tribunaux; il est coupable de trahison formelle envers la loi, s'il l'administre sans la connaître: en vertu du bill de Québec, c'est donc la jurisprudence française qui préside aux jugements; elle varie dans les lois de détail, mais surtout pour la nature des procédures judicielles selon les divers parlements de ce royaume; mais je défie ce juge français en masque, sorti des boutiques chirurgicales d'Édimbourg, de déterrer dans les annales diverses des judicatures françaises, une seule époque d'une cour se saisissant d'une cause commerciale et compliquée, à la réquisition d'une seule partie, fixant les moments de la plaidoirie, prononçant le jugement, ordonnant d'une immédiate exécution, récusant de faire droit à une interjection d'appel de la part de la partie adverse, et à sa réclamation de délai, pour l'instruction de son avocat, enfin consommant tous ces actes judiciels respectifs, dans le cercle bien raccourci de 20 heures. La judicature française châtie les brigands, mais elle ne copie pas leurs brigandages: des atrocités d'une trempe si noire ne sont faites que pour une infortunée colonie où le despotisme, dans son insatiable voracité, a tous absorbé, tout englouti, jusqu'à l'administration de la justice; usurpation contre laquelle je m'inscrirai avec bien plus d'énergie et de véhémence, quand je la considérerai, s'abattant d'un particulier sur la généralité de la province, qu'elle a inondée de ses ravages.

Tels sont les fruits empoisonnées du système de gouvernement pratique, adopté par le général Haldimand: l'exertion d'un tel plan, dirigée dans toute sa latitude contre ma personne, a été bien près de consommer la ruine de ma fortune, et la destruction de mon existence: n'importe; dans les accès d'une mauvaise humeur, qui serait peut-être ici bien pardonnable, il s'en faut bien, que l'équité naturelle, dont je fais hautement profession, n'aille approprier au cœur et à l'âme de ce gouverneur, toutes les prévarications exercées contre moi: je dis, à son cœur et à son âme; car sa personne reste toujours responsable à l'État, de ses erreurs de suggestion, et des écarts de sa surprise étrangère. S'il était homme à ne pas gouverner par lui-même, et à se laisser mener par la main, comme un enfant à la bavette, il est coupable de l'acceptation d'une place, qui n'était confié qu'à lui en personne, et dont il n'était pas gratifié pour la gérer par députés; mains au moins dans sa faiblesse, les propres sentiments ont pu être préalablement, sinon vertueux, du moins, moins passionnés contre moi, c'est-à-dire moins criminels.

C'est pour lui conserver cette gloire personnelle, que j'ai commencé par notifier si solennellement au public, que dans ma persécution, il n'avait été d'origine que la dupe imbécile de son confident Mabane: celui-ci n'a pas maqué d'entraîner, à la suite de ses exemples, bien des compagnons et des suppôts de ses cabaleuses suggestions: la faction des Fraser et des de Rouville n'a pu que lui recruter des légions d'adjoints, blasphémant contre ma personne. D'ailleurs, le despotisme en chef enfante des phalanges innombrables de despotes en seconds, de servilité et d'imitation; l'intérêt, la flatterie, la terreur sont les enfants naturels du despotisme, tout faits et toujours prêts à applaudir aux excès de leur père. Un de nos gentilshommes d'une famille ancienne dans le Canada, et dont le nom figure dans l'histoire des Croisades, ce noble, dis-je, de plus de 500 ans, écho de M. Mabane, qui le soufflait, complimenta servilement le général Haldimand sur ma détention, justement due, dit-il, à un réfractaire qui avait osé braver la judicature de son pays. Me fallait-il donc plier, en victime insensible et stupide, sous la verge de quelques juges prévaricateurs et arbitres oppresseurs de mon innocence? Le lâche! le mercenaire, l'esclave du despotisme! Des milliers de siècles de noblesse ne suffiraient pas pour ennoblir une âme si radicalement enroturée par de si ignobles sentiments.

Enfin (et voici le dernier témoignage éclatant de la droiture et de la candeur qui sont l'âme de tous mes récits contre le général Haldimand) dans les jours orageux des discordes civiles, la politique publique, j'entends une politique sage et juste tout à la fois, se défie de tout et ne pardonne rien, pas même les apparences. Cette défiance et cette sévérité de concert sont la mère de la sûreté publique: je souscris de grand cœur à cette économie publique, légitimée par la nature du bien public, à qui l'intérêt particulier doit céder, quoiqu'elle m'ait coûté ma liberté. La calomnie m'avait noirci au tribunal du gouvernement, et dépeint sous toutes les couleurs d'un ami des Américains. Le gouvernement s'assura, par provision, de ma personne; cette détention n'était d'abord qu'un acte de sa sagesse précautionnée, qui veillait à la conservation de la province: jusques-là, le gouverneur Haldimand n'a été qu'un gouverneur vigilant et actif; mais voici l'époque précise où il a éclaté tyran et en tyran si notoire, que tous les subterfuges de la chicane et le raffinements de la sophisterie ne viendront jamais à bout de le laver et de l'absoudre.

Les soupçons ne sont pas des crimes d'État réels, mais seulement de présomption. Cette présomption n'autorise les voies de compulsion et de force, que pour quelques moments et jusqu'à la manifestation des crimes d'État; mais elle cesse dès que les soupçons, qui l'avaient fait naître, éclaircis et dissipés, font disparaître jusques aux apparences de criminalité: l'accusé est alors absous par voie de fait en vertu de l'éclaircissement et cesse d'être justiciable de l'État et conséquemment punissable par les lois. Cette définition de la loi de suspicion et la fixation des limites de son autorité, devaient donc en son temps être la garde de la personne; et elles mettent aujourd'hui la date à l'avènement de la tyrannie qui m'a opprimé. Cette loi, qui ne pouvait parler et déposer contre moi qu'au nom des soupçons, devint donc sans énergie et sans action contre moi, quand les soupçons eurent disparu sous l'évidence des informations; le général Haldimand commença donc à être mon tyran, dès que les lumières de la vérité l'eurent éclairé sur ses erreurs de présomption; il le fut donc bientôt ce tyran et, hélas! que trop longtemps. J'en appelle aux faits de notoriété publique, que je vais retracer ici, non pas pour sa conviction, (il y a longtemps que sa conscience est revenue de ses méprises) mais pour la honte de la trahison, faite à sa conscience par la continuation de ces violences, qu'il savait très-bien n'être plus justiciables au tribunal de sa raison.

Au moment de ma prise, je délivrai, en vertu d'une sommation au capitaine Laws, mon porte-feuille; j'y mis en bloc, sous une enveloppe générale, tous les écrits que je pris la précaution de sceller de mon cachet. Je chargeai mon militaire arrêteur de requérir, en mon nom, du général Haldimand, que l'ouverture juridique de ces papiers ne fût effectuée qu'en ma présence: ce gouverneur se lia, d'honneur solennel, de faire droit à une si juste requête et de respecter mon sceau en mon absence: mais il tin mal parole à cet honneur; car le porte-feuille fut ouvert de force dans les ténèbres, les agrafes brisées, le cachet rompu, les papiers visités et déchirés en partie et ce fut dans cet état de délabrement que le tout me fut relâché dans ma prison,3 sans recueillir d'autre fruit de ces procédés, incivils, illégaux et arbitraires, que la honte de l'incivilité, de l'illégalité et de la violence. Première information juridique, à mon honneur et à ma gloire.

Piquée d'avoir tristement échoué dans cette première tentative, la soif de la vengeance se reput des idées chimériques d'un plus heureux succès à Montréal. Des militaires de marque, tels que le brigadier général Maclean et le major Dunbar, beau-frère du juge Fraser, furent députés de compagnie avec deux commissaires de paix, Messieurs Mac Gill et Porteus, pour aller passer en revue tous les coins et les recoins de ma maison: toutes les portes de mes appartements s'ouvrirent à leurs fulminantes menaces; deux de mes bureaux, dont les clefs m'étaient restées dans les mains, furent forcés; des lectures les plus scrupuleuses et les plus sévères furent prises de l'universalité de mes papiers: on s'était promis de déterrer ces fameux prétendus originaux de mes supposées correspondances avec les Américains; mais il ne s'offrit à leurs plus minutieuses recherches, que des intelligences mercantiles, des monuments particuliers d'affaires domestiques, radicalement destitués de toute analogie avec la politique. La vérité se fit jour ici à travers la force des préjugés. Ces deux commissaires de paix ne figurèrent que pour la forme et ne furent que simples spectateurs; mais les militaires, étonnés et confus, confessèrent hautement que leurs découvertes n'avaient rien produit de ce qu'ils cherchaient: cette confession fut prononcé en présence de ma gouvernante, dont la déposition est aujourd'hui dans mes mains. Ce ne fut qu'après mon élargissement, que je fus mis au fait de ce nouvel acte d'inquisition, quand, mettant le pied dans ma maison, tous mes papiers s'offrirent à moi, dans un désordre et un renversement général, avec la soustraction de bien des contrats, obligations, notes promissoires et manuelles, dont je ne pourrai jamais recouvrer le paiement, par la perte des actes originaux qui en constataient le droit primitif. Seconde information juridique, à mon honneur et à ma gloire.

La voix de la renommée, qui enfle toujours ses rapports, surtout en fait de déclamations malignes et infamantes, avait publié que ma seigneurie de la rivière David était un magasin, regorgeant de munitions de bouche pour les Américains: 1 300 bœufs, un nombre égal de porcs, 30 000 minots de blé, en dépôt, n'y attendaient que le moment du départ, pour prendre à travers les forêts la route des colonies. Le capitaine Le Maître, aide-de-camp du général Haldimand, et M. Gray, commissaire de paix, furent chargés d'aller se saisir d'un si précieux butin, alors de grande ressource pour le Canada; ils visitèrent mes moulins, mes hangars, tous les lieux en un mot capables de receler une si belle capture: il ne se trouva pas un seul bœuf à moi dans toute l'étendue de mon domaine; ils n'y aperçurent qu'une ou deux ventrées de douze petits cochons, au service de mes gens; et ces 30 000 minots de blé se rabattirent à une centaine, qui était le produit des moutures dévolues au seigneur pour l'érection et l'usage de mes moulins. Frappés de cet échec, qui confondait si hautement les rapports de la calomnie, les commissaires prirent langue, et firent chez le capitaine de milice, de Maska, une enquête authentique auprès de mes tenanciers, qui, témoins oculaires et journaliers de mes déportements, se firent un devoir de reconnaissance de justice et de vérité, de payer le tribut de leurs hommages à ma personne, dont ils exaltèrent le désintéressement, la générosité, la probité, la fidélité, surtout, qui ne leur parla jamais en général, que le langage de cette fidélité, sans jamais entrer dans ces discussions politiques, qui sont hors de la sphère des paysans. Troisième information juridique, à mon honneur et à ma gloire.

Débouté de toute lueur d'espérance de jamais atteindre à quelque information défavorable pour moi, sur les lieux, ou vu de près, on devait me connaître; l'envie acharnée à me vouloir coupable se fit une misérable ressource d'en aller chercher et déterrer où j'étais à peine connu. Le jeune Dufort avait été arrêté comme il s'échappait de la province, cherchant, dans la fuite, le salut de sa liberté précaire et chancelante, sous une exécution légale, obtenue contre lui par un inexorable créancier: des militaires de la plus grande considération, ne crurent pas avilir leur caractère, que d'essayer de surprendre dans trois interrogatoires successifs, et d'extorquer des témoignages contre contre moi, par des questions captieuses, des assertions même frauduleuses, de ma prétendue exécution sur un gibet. Le prisonnier, plus ami du vrai que de sa liberté, et dédaignant de faire sa cour aux dépends de l'innocence, ne put jamais être amené, par tous les artifices, à me compromettre dans son évasion, dont il jura toujours que je ne pouvais avoir eu le moindre vent. Son père même, rendu à sa prison, vint se mettre de compagnie et sur les rangs, non pas pour suborner la probité de son fils, qu'il avait lui-même formée par ses leçons, mais pour l'inviter à ne rien receler des informations vraies qui pouvaient lui valoir sa liberté auprès du gouvernement; mais le prisonnier tint toujours ferme dans ses premiers allégués, qui m'absolvaient, en plein, de toute intelligence avec lui dans sa fuite. Il m'a depuis, en présence de témoins, fait délivrer son certificat par écrit, des divers interrogatoires qu'il a subis, des réponses uniformes qu'il confirma sur les serments les plus solennels et que j'ai déjà produits au grand jour dans mon mémoire4. Quatrième et dernière information juridique, à mon honneur et à ma gloire; je dis juridique: car pour les enquêtes secrètes, elle ont été multipliées à l'infini, et couronnées des mêmes succès; peu de portes en Canada, où on ne soit allé frapper, mais elles n'ont été ouvertes, que pour la justification de mon innocence.

Il y aurait en plus que de la fatalité ordinaire, plus que de l'aveuglement commun, si les rayons de lumière qui rejaillissaient de toute part, ne fussent pas venus porte le jour dans l'esprit du général Haldimand: son cœur sembla donc se ramollir et se radoucir. Il commença à ne plus parler de ma détention, que comme un de ces tristes événements, que le zèle qu'il devait à la cause de son souverain, c'est-à-dire la loi la plus stricte du devoir, avait pu seul arracher à la précaution de sa vigilance; il convint franchement que le résultat des plus sévères inquisitions, n'avait concouru, en aucune manière, à réaliser les premiers ombrages, fournis contre mon innocence au gouvernement; il ne balança plus même à confesser, que les premières démarches n'avaient été que les écarts de la surprise et de la méprise: j'ai sous la main des témoins et des dépositaires de ses sentiments, tous prêts à le mettre en contraste avec lui-même, et à le confondre, quand le manque d'honneur et de consistance l'amènera à se renier lui-même, en niant ses propres aveux; mais qu'a à faire ma cause de ces témoignages particuliers et secrets? Un évènement public et personnel l'a déjà décidée en ma faveur, dans toute l'Angleterre, en dernier ressort et sans appel, au tribunal de l'équité naturelle, précurseur infaillible du tribunal de l'équité civile.

Ce vertueux ami, qui m'honore par son amitié, autant qu'il illustre sa dignité de membre de la législature de la province, par cet assemblage de vertus sociales, qui le font les délices et l'ornement de ses concitoyens. M. Levesque, toujours aux aguets pour faire triompher mon innocence, par le recouvrement de ma liberté, sollicita cet élargissement, précisément à cette époque favorable où le feu de la persécution, abattu, avait ramené le calme dans les passions du général Haldimand. Mon sage négociateur renforça ses sollicitations usitées, par l'offre de se constituer lui-même ma caution, à la concurrence de quelque somme arbitraire, qu'il serait plu de statuer. Le gouverneur ouvrait alors son lever, lever mémorable par la reconnaissance authentique de mon innocence; émancipé par le moment, de la tutelle et de l'influence de ses perfides instigateurs, il sembla devenir ce qu'il devait être, c'est-à-dire un juge juste et humain; avec un air de satisfaction et de sérénité qui égayait visiblement sa contenance, il souscrivit galamment à la requête de mon digne ami, en ma faveur, en accompagnant cet acte de bienfaisance judicielle, de tous ces compliments obligeants, et propres à adoucir, à faire oublier même ses premières sévérités à mon égard.

Il appela sur le champ son aide-de-camp, M. le Maître, qu'il dépêcha en hâte, dans la compagnie de M. Levesque, vers le lieutenant-gouverneur, M. Cramahé, pour lui intimer l'ordre de dresser l'acte obligatoire, qui devait immédiatement précéder ma liberté; (car il est à propos d'observer ici, que toutes ces expéditions générales de justice militaire, ne furent jamais marquées que du sceau du despotisme militaire, et toujours signées de la main de Hector Théophile Cramahé, par ordre de son excellence, le gouverneur:) la justice civile n'y intervint jamais par ses agents, et elle n'y figura jamais par l'économie réfléchie de ses procédures. Le lieutenant-général accueillit cette nouvelle, avec un enthousiasme et une extase, qui éclatèrent en ces transports, naturels à un bon cœur en liberté d'agir et d'être lui-même: « En vérité j'en suis bien aise, car il était honteux de tenir un homme comme M. du Calvet en prison et sans savoir pourquoi; » mais il se trouvait malheureusement occupé et l'affaire fut remise au lendemain.

Ce jour arrivé, M. Levesque se rendit à point nommé chez M. Cramahé où de concert avec M. Dunn, personnage de marque dans la province, l'acte d'obligation fut dressé; ils passèrent delà dans l'appartement de M. Cramahé, pour le signer en sa présence, et le munir de toutes les formalités légales; mais quel fut leur étonnement, lorsque ce lieutenant-gouverneur leur signifia, qu'il n'était plus question de mon élargissement, parce que « la girouette avait tourné » et que sur ce changement de vent, il avait reçu un contre-ordre du gouverneur pour suspendre ma liberté! Il ne donna alors aucun éclaircissement sur ce mystérieux et étonnant changement, dont la pénétration ordinaire de M. Levesque saisit très-bien la cause par des conjectures; il en fut pleinement éclairci, le dimanche suivant, 10 décembre 1780, au château de St-Louis, par le gouverneur lui-même tenant son lever en grand Gala, et dans son plus brillant apparat. « M. du Calvet, » lui dit son excellence, en allant à lui au travers de la foule, « M. du Calvet a eu l'audace de m'adresser une lettre insolente; je lui apprendrai, si c'est de ce style qu'on écrit à un homme comme moi, et je lui ferai bien changer de note. »

M. Levesque lui répliqua, « j'ai lui la lettre et je n'aurais jamais imaginé qu'elle fut sur un ton à irriter et offenser votre excellence; après tout, il faudrait pardonner quelque irrégularité, à un homme qui voit son tombeau creusé graduellement tous les jours, sous ses pieds, par les horreurs d'une prison, et sa fortune tombant eu décadence et en ruines, et s'écroulant tout à fait chez lui par l'inattention et l'absence. » M. Panet, avocat français, depuis juge des plaidoyers communs, appuyant de son suffrage ce plaidoyer de l'humanité. Provoqué par des apologies mal-assorties à sa passion, l'impérieux général Haldimand exhala sa fureur par cette arrogante et insultante réplique, « je n'ai pas ici besoin de conseil et d'avis; à moi seul le droit de juger; et je procéderai comme il me plaira. » Je défie le despote le plus jaloux et le plus fier de s'arroger un langage plus audacieux et plus superbe: il appert5 donc ici, par ce récit attesté depuis par une lettre de M. Levesque6, et confirmé par le témoignage de M. Cramahé7, que j'ai été détenu prisonnier depuis le 6 décembre 1780, (jour assigné pour mon élargissement) jusqu'au second de mai 1783, non plus en vertu d'une correspondance supposée avec les ennemies de l'État, ni d'aucune pratique contre la prospérité de la province, mais à raison d'une lettre, que, dans les agonies d'une âme en proie aux plus cuisants chagrins, j'avais écrite d'un style que le gouverneur jugea peu respectueuse et trop libre.

Cette lettre, publiée avec tout le tissu de ses particularités dans mon mémoire (page 116,) ne pourrait être insérée ici sans excéder les bornes resserrés que prescrit la nature d'une épître; mais au jugement de tout Londres, elle n'est, dans son ensemble, que l'expression de la douleur, aigrie à la vérité par les sensations les plus cuisantes, mais conduite dans ses accents par la politesse et mollifiée par la modération. En voici le trait le plus véhément, qui seul a pu rallumer contre moi tout le feu et les volcans de la passion du général Haldimand: « D'après ces principes, je dirai par représentation à M. le général Haldimand et à M. Crahamé, que s'ils n'ont pas projeté et juré ma destruction, et celle de ma famille, ils auront égard à la représentation que je vais leur faire, et ils ne me feront pas plus longtemps souffrir dans ma prison, ... l'une des plus dures prisons où je suis malade. »

Si tous les rois de la Terre, assemblée dans le Concile œcuménique, avaient (sans voie juridique, et sans assignation de corps de délit) décerné contre ma personne l'horrible nuée de châtiments, que m'a infligés de sa seule autorité, et de son unique mouvement, le haut et puissant général Haldimand, je n'aurais pas cru violer le respect dû à leurs universelles majestés, que de déférer des plaintes si modestes, à leurs tribunaux réunis. Ces monarques, faits pour le trône, et préparés par la nature et l'éducation pour y siéger, au nom de la justice et de l'humanité, pour la direction et le bonheur de toutes les sociétés nationales, auraient trouvé, dans leur destination officielle et publique, des excuses, des apologies même, pour une si légitime complainte. Le général Haldimand n'est que représentant de roi, de représentation bien éloignée; et encore n'est-ce que par intrusion, de passage, et par l'entremise de l'aveugle faveur. Cet homme, parvenu de hasard et contre nature, n'a pu recevoir, en naissant, que l'âme vulgaire d'un particulier, qui n'était pas né pour la grandeur; il n'a point appris, sous les leçons précoces de l'instruction, l'art d'être roi même par image et en peinture. Dans les délires de l'amour-propre ébloui, il s'est figuré, que sa dignité de gouverneur élevait la personne d'Haldimand, au-dessus des individus de la nature humaine, qu'il était délégué pour gouverner. Dans ses rêveries, il a cru sa grandeur personnelle outragée par les représentations d'un individu, qui devait disparaître et se taire devant un homme comme lui; et sur ces extravagantes prétentions, il s'est vengé à l'égal, au-delà même des rois. Mais je vais plus loin.

Je suppose que cette malheureuse lettre (je ne la qualifie de ce nom, qu'à raison des malheurs qu'elle a accumulés sur ma tête) eut réellement passé les bornes de la déférence due à un gouverneur, et fut allée jusqu'à outrager effectivement sa personne: mais la personne d'un gouverneur n'est pas l'État; on peut abhorrer de tout son cœur la première, et aimer tendrement le second: une insulte faite à l'une, n'est donc pas un crime de haute-trahison contre l'autre; ce n'est qu'un délit particulier, qui ressortit des lois civiles. La majesté des rois ne les met pas souvent à l'abri des écrits audacieux et insolents; mais ils rougiraient de se faire eux-mêmes juges et parties dans leur cause: c'est à leur Cours de judicature qu'il s'en remettent de leur vengeance, et c'est à elles à qui je devais être livré pour prononcer sur le délit de ma lettre. De quoi s'est avisé le général Haldimand de travestir en crime de lèse-majesté, une offense qui ne pouvait être tout au plus que de lèse-individualité, et de punir un prétendu offenseur particulier en criminel réel d'État? Pourquoi m'enchaîner, durant le long cours de deux ans et demi, dans une prison au nom de l'État, qui n'avait rien à démêler dans l'insulte supposée? Qu'il prépare, qu'il forge dans les ateliers ténébreux de sa fougueuse et vindicative imagination, pour ces questions, une solution claire et nette que la judicature d'Angleterre doit réclamer pour sa justification! Je l'en défie.

Mais sur quelles lois s'est-il fondé pour s'ériger ainsi en vengeur absolu dans sa propre cause? Est-ce sur les lois de France? Mais nul gouverneur des colonies françaises, qui osa venger par une captivité de deux ans et demi un disrespect contre sa personne, sans l'interposition de la judicature de la colonie, à qui, dans vingt-quatre heures, il doit rendre compte de toutes les voies de fait dont il pourrait s'aviser: s'il venait à s'arroger une autorité, dont la constitution de l'État ne l'investit pas, le parlement de Paris, qui est le parlement d'adjudication pour les colonies, prendrait fait et cause en main en faveur de l'opprimé contre l'usurpateur; il le sommerait jusqu'au milieu de sa garde de comparaître à la cour, ou en personne ou en procureur, pour y rendre compte de sa tyrannique administration. Dans ces occasions d'éclat, la sage politique de la Cour de Versailles ne favorise jamais ces despotes délégués, que trop enclins à mésuser de leurs pouvoirs; et elle croirait imprimer une tache ineffaçable à la gloire de sa justice, que de ne pas donner les mains à une sommation faite au nom de la félicité d'un corps du peuple, attaquée dans le lointain et gémissante sous les coups actuels de la tyrannie8.

Par le bill de Québec, l'Angleterre est engagée, de constitution, à nous reproduire, dans la province, l'image tout-à-fait ressemblante de la jurisprudence de France. Où est donc ce tribunal, représentatif du parlement de Paris, sauvegarde d'office et surveillant général du bonheur des Canadiens, préposé pour tenir en réserve les dernières foudres judicielles en leur faveur, contre le pouvoir exécutif, qui s'aviserait de vouloir établir chez eux le règne des brigandages arbitraires du despotisme? Eh, quoi! le bill de Québec ne nous aurait-il donc transmis qu'une judicature française, tronquée, mutilée et dépouillée de la seule ressource qui peut la mettre dans toute sa vigueur, et assurer sa fidèle exertion dans une colonie? c'est-à-dire que ce misérable bill nous aurait dévoués (garrottés, pieds et poings liés) à la discrétion de tout gouverneur, à qui il plaîra de nous écraser! Le gouverneur Haldimand avait donc raison, quand en plein lever, pour donner du relief à sa personne et à sa dignité, il érigeait sa volonté en règle seule de sa conduite, et en loi unique de la province!

« Mais », dit Puffendorf, « quand une législation nationale, loin de protéger formellement, par sa teneur, les peuples, conspire dans son essence, par une tendance immédiate et directe, à les fouler et les tyranniser, dès-lors elle cesse d'être loi, qui par sa nature doit être subordonnée au bonheur public; alors l'anarchie succède de droit éminent et positif; les sujets rentrent dans l'ordre de la nature, où il n'est plus de souverain, de législature, de ministre, et de gouverneur: replacés dans cette égalité universelle, qui était née avec eux, ils deviennent alors, individuellement, leurs seuls juges et leurs propres vengeurs. » Avant de soustraire le général Haldimand à la juridiction des lois, et d'imiter si mal, par cette soustraction, l'équité de la Cour de Versailles, que le gouvernement, en vertu du bill de Québec, doit nous représenter fidèlement, comme le dernier complément de la jurisprudence française sur les colonies, que le ministère pèse la triste révolution qui doit en être le premier fruit.

Mais la tyrannie du général Haldimand, dans mon emprisonnement s'étendit dans sa latitude subséquente à des transgressions encore plus atroces que la violation des lois françaises: j'offris, en faveur de mon élargissement, non-seulement la caution de mes amis, mais la séquestration de tous mes biens, que je soumettais à l'administration du gouvernement pour gages de ma fidélité: rejeté dans cette offre, j'en appelai au lois de la province; je me réclamai de la juridiction de mon souverain, pour être transporté en Angleterre, et y porter ma tête sur un échafaud si j'avais été un traître: enfin par la plus authentique sommation, je requis mon jugement dans la judicature de la nation. Mais le despote suprême, M. Haldimand, foula aux pieds toutes ces réclamations juridiques, et ces appels nationaux, contre la teneur de la capitulation de Montréal de septembre 1760, contre la bonne foi jurée au Traité de Fontainebleau le 10 de février 1763, contre la proclamation de notre souverain en octobre 1763. Tous ces actes nationaux nous annonçaient, sous l'appareil le plus solennel, la jouissance des prérogatives des citoyens naturels: et où est en Angleterre le gouverneur, qui osât priver un seul moment de sa liberté, un sujet dont il se constituerait de sa propre autorité le juge, sans l'intervention des tribunaux civils?

Mais la prévarication éclate sous un jour bien plus odieux, plus insolent, contre les instructions transmises en 1778 avec la commission au gouverneur Haldimand, par le ministre et secrétaire d'État d'alors, milord George Germaine: ces documents royaux lui enjoignaient de proclamer dans la colonie, l'acte de l'habeas corpus, qui, le 6 du mois d'avril dernier, n'y était pas encore remis en vigueur, du moins, à en juger par les lettres particulières qui nous y annoncent la continuation du despotisme. Ces règles d'administration publique, émanées immédiatement du trône, interdisaient à ce gouverneur, même dans ces temps de trouble, le pouvoir d'emprisonner un sujet sans l'avis et l'approbation du Conseil législatif; dans l'espace de trois mois, une proclamation et un jugement devaient justifier, aux yeux de la province, la détention provisionnellement ordonnée du coupable. Où est la bonne foi que méritent les traités? Qu'est devenu ce respect dû au souverain, surtout quand il veille au salut de ses peuples? L'Angleterre est donc ici insultée dans ses plus respectables têtes, et déshonorée dans ses plus beaux titres, sa vertu. C'est à elle à venger en chef cet outrage; pour moi, je ne suis que le second dans l'offense.

Après des attentats si hardis contre les autorités les plus sacrés, on doit s'attendre à tout de la part d'un général Haldimand; cette étude à entasser sur ma tête, de choix si ingénieux, tant de douleurs dans ma captivité, ne surprend plus: il était naturel à une tyrannie échappée et sans bride, de conspirer à ma destruction: si elle sembla s'arrêter dans sa course, suspendre les derniers coups d'éclat et révoquer son arrêt, les plus diaboliques vues furent l'âme de cette espèce de révocation. Le chemin de la fuite fut toujours ouvert à mon choix; c'était à coups redoublés d'oppressions que mes ennemis visaient à me forcer de m'y résoudre, à l'exemple de tant d'autres compagnons infortunés de mes disgrâces. Mon évasion aurait ratifié et confirmé les premiers soupçons de ma perfidie prétendue envers mon souverain; j'aurais emporté avec moi toute l'infamie réelle de ma supposée haute trahison; je n'aurais donc plus été, au tribunal public, qu'un fugitif flétri et déshonoré; la confiscation de mes biens aurait été le prix de cette flétrissure: enrichis de mes dépouilles, mes ennemis, qui étaient mes juges, auraient joui du doux spectacle de me voir errer d'asile en asile, sous les livrées de l'indigence en rebut à toute la terre, en horreur à tous les honnêtes gens, et surtout dans l'impuissance de leur jamais demander, avec succès, compte de mes malheurs; leur triomphe aurait été complet: mais une mince pénétration, et surtout les intérêts de mon honneur, me firent lire d'avance dans les cœurs, où se tramaient de si abominables complots; je me soumis donc à ma triste destinée, qui se serait accrue d'horreurs, que d'essayer à la finir par les voies que m'aplanissaient la malice et l'artifice. Par cette ferme résolution, malgré la soustraction de plus de 20 000 liv. st. à ma fortune, mes domaines et mes autres immeubles ont échappé à leurs entières usurpations; peut-être seront-ils des fonds suffisants pour faire pleurer, un jour, ces barbares qui se sont fait un jeu si cruel de rire de mes désastres.

Cependant, au plus fort de mes malheurs, l'amitié vint, par ses épanchements affectifs, adoucir la sévérité de mon sort; M. Levesque soutint constamment le caractère généreux de mon bienfaiteur et de mon patron à Québec et jusques sous les yeux du despotisme, qui, quoiqu'ennemi de ses vertus, n'osa jamais lui faire un crime et le punir de me servir. M. Dumas St-Martin, en liberté de donner enfin l'essor à ses sentiments, devint, par succession de temps, le père de mon fils, qui encore, sous les livrées de l'enfance, délaissé sous la tutelle de domestiques indolents et stupides, étalait sur sa personne le spectacle hideux de la nudité et de l'indigence et portait sur sa face émaciée, l'image peinte de la fin précoce qui le menaçait. M. du Chesnay (nom respectable, que je ne prononce ici qu'avec admiration) me délia sa bourse pour arrêter la vente de mes biens, que la perte de mes procès allait rendre inévitable: il accompagna ce service de ces manières obligeantes, de cette délicatesse prévenante, qui en amplifièrent le mérite au centuple; il m'obligea avec toute la noblesse d'un gentilhomme qu'il est, et qu'il mérite bien d'être, en venant me mettre la somme dans les mains, jusques dans ma prison même; il me reste d'un si noble procédé une dette de reconnaissance, que la durée de mon existence ne suffira jamais pour payer dans son entier.

Des amis rassemblés ranimèrent par des écrits9 touchants et par leurs pathétiques exhortations, mon courage, qui, abattu sous le poids de la calamité, était presque expirant et sur le point de se rendre. Une société des plus respectables citoyens m'offrit, après mon élargissement, une souscription de 2000 guinées, pour m'aider à me relever de mes disgrâces, par le ministère des lois; mais je ne serai jamais à charge à mes amis, que quand l'indispensable nécessité m'en aura dicté l'irrévocable loi: il me reste encore une petite fortune; j'hypothéquerai, j'aliénerai, je sacrifierai tout, pour arracher, au nom de mon honneur, de la justice nationale et judicielle d'Angleterre, une réparation que les titres les plus sacrés réclament pour moi.

Si j'échouais dans la poursuite d'un si noble dessein, eh bien! Messieurs, je ne balancerais pas alors de vous léguer solennellement mon fils; il était né pour une assez brillante fortune; mais malgré les défaites de son malheureux père, je suis sûr que dans votre humanité, votre générosité, et la noblesse de vos sentiments, il trouverait parmi vous plus d'un vrai père. Pour moi, je ne suis pas d'un caractère à mettre un si grand prix à une vie, qu'un flétrissure, quoique toute de présomption et d'injustice, empoisonnerait de ses amertumes: à mon âge, d'ailleurs, on doit avoir appris, au moins, à fini avec fermeté et avec courage.

La connivence de Londres semble me présager le besoin futur de ces derniers sentiments: ici le despotisme ne marche pas, comme à Québec, tête levée; mais il domine furieusement dans les ténèbres, et il se démène terriblement, pour se mettre un jour à l'aise et en liberté. À mon arrivée dans cette capitale, c'était le Lord North, qui, comme secrétaire d'État, présidait à l'administration de l'Amérique: sa seigneurie a la réputation d'être née à l'ombre des pavots de Morphée. La renommée, avec ses cents voix, n'en a souvent pas une pour la vérité; mais ici elle en est l'écho: malgré les efforts bruyants de mes visites, de mes écrits, et des sollicitations vives de mes protecteurs et de mes amis, je ne pus réussir à éveiller un seul moment sa seigneurie. Ce seigneur est aujourd'hui en disgrâce, et sans avoir à répondre qu'à lui-même de sa léthargie naturelle ou acquise: eh bien! il peut aujourd'hui reposer à l'aise, si cependant la voix de la justice, qu'il a si mal servie dans ma personne, ne vient pas troubler son repos.

Le ministère présent jouit, au tribunal du gros de la nation, de la gloire de la popularité; il m'a donné au moins quelques signes de vigilance et de vie, car il a parlé. Vous avez lu ses déclarations, ou plutôt ses variations. Je vous laisse à pressentir ce que semble préparer, et à vous et à moi, ce langage de la dissonance et de volatilité. Il n'est pas cependant hors de la sphère de la possibilité, d'éclairer sa politique, d'alarmer son patriotisme, et d'exciter l'une par l'autre, pour faire taire et calmer des soupirs, qui, quoique partant de loin, peuvent devenir bien funestes à tout l'État. Puisse l'astre heureux de l'Angleterre et du Canada, réunis, amener cet évènement, et supprimer, dans ses causes fatales, une nouvelle révolution, qui se couve et s'avance à pas bien rapides et précipités; car je viens maintenant à vous; et c'est ici pour moi la partie la plus intéressante de cette lettre: mes intérêts, il est vrai, me sont chers; c'est la nature elle-même, qui est la mère de cette tendresse; mais le patriotisme, cette vertu, ou plutôt cet assemblage de vertus plus fortes quelquefois que la nature, dans les grandes âmes, a marqué dans mon cœur une place de distinction pour les vôtres. Tels sont les sentiments qui ont guidé jusqu'ici mes démarches, et réuni mes efforts. Si jamais je pouvais réclamer quelque part dans la gloire de finir les calamités qui écrasent notre pauvre colonie, votre bonheur seul me consolerait de toutes mes disgrâces. C'est animé de ce motif, que, la plainte à la bouche, je fais mon entrée dans l'investigation de la situation présente de la province de Québec.

Qu'il est triste d'être vaincu, s'il n'en coûtait que le sang qui arrose les champs de bataille! À la vérité, la plaie serait bien profonde, bien douloureuse; elle saignerait pour bien des années; après tout, la révolution des temps la fermerait, la consoliderait à la fin: mais être condamné à sentir la continuité de la main d'un vainqueur, qui s'appesantit sur nous; mais être esclaves à perpétuité, sous l'empire d'un souverain qui est le père constitutionnel du peuple le plus libre qui soit dans l'univers; oh, pour le coup c'en est trop! serait-ce que notre lâcheté à disputer la victoire, en nous dégradant dans l'esprit de nos conquérants, aurait mérité la survivance de leur colère et de leur mépris? Mais ce furent nos généraux, en discordance avec eux-mêmes, qui se firent battre; mais nous, nous prîmes leur revanche, et nous lavâmes, l'année d'après, la honte de leur discordes, sur le même champ de bataille que nous marquâmes, à leur tour, par la défaite de ces ennemis qui les avaient défaits. Québec, il est vrai, ne retomba pas sous notre puissance par ce succès incomplet de nos armes; mais c'est qu'il faut du canon pour abattre les murailles d'une ville de guerre; et la prise antécédente de nos arsenaux, nous les avait arrachés d'avance des mains; et nous ne nous rendîmes dans la suite, qu'environnés de trois armées, et quand il ne nous restait plus assez de poudre pour fournir à une action d'une demi-heure: une telle reddition est le dernier période de la gloire, pour un peuple conquis. Le général, notre conquérant,10 vit encore au milieu de Londres; il peut rendre témoignage à ces circonstances glorieuses, que je cite ici autant pour son honneur que pour le nôtre; car la bravoure d'un ennemi fait la gloire de son vainqueur. Mais n'est-ce pas ternir tout le lustre d'une victoire, que de flétrir par l'esclavage les braves qui l'ont perdue? Qu'il apprenne donc à ses maîtres les titres que nous avons pour être respectés; il se le doit à lui-même, autant qu'à nous; car la province qu'il a soumise à l'empire britannique, n'a été, depuis l'époque de sa soumission jusqu'à ce jour, qu'une province d'infortunés et d'esclaves.

À l'époque de la cession, irrévocablement signée à Fontainbleau, la colonie, en vertu d'une proclamation, fue associée, de théorie royale, au corps des colonies sujettes de l'Angleterre; mais le pouvoir exécutif à Québec n'associa pas de pratique ses enfants à la jouissance des prérogatives des citoyens. La porte aux dignités publiques de leur patrie, leur fut pour la plupart constitutionnellement fermée; la nation, conquérante, par les mains de ses individus nationaux, envahit de volée et d'emblée presque toutes les places du pays conquis; c'est-à-dire, que par cette usurpation les Canadiens furent déclarés étrangers, intrus, esclaves civils, dans leur propre pays; c'est-à-dire, qu'on les assujettit à leur mise des impôts et des taxes de l'État, mais sans le titre primitif et fondamental, en vertu de qui seul, un État peut être autorisé, par le droit social, à imposer de pareilles obligations. Le code original des sociétés et des droits des nations à la main, nous analyserons bientôt la nature de cette excommunication civile, qui, de fait, n'est qu'une tyrannie positive, sur laquelle l'Angleterre, en corps, à commencer par le sénat et ses ministères, s'est étrangement aveuglée de théorie, et égarée de pratique.

Vers la fin de 1762, les sauvages de Missillimakinac, lassés de deux années de voisinage avec les Anglais, s'affranchirent à la sauvage de l'incommodité; c'est-à-dire, qu'ils coupèrent, sans façon, la gorge à toute la garnison, dont le commandant ne sauva sa chevelure et sa vie, que par l'humaine interposition d'un gentilhomme canadien11, qui lui avait fait plus d'une fois pressentir l'exécution; car c'est-là le sort que la judicature indienne adjuge, de volée, dans ses tribunaux, aux usures, aux fraudes, aux déprédations, aux brigandages. Une politique instruite et juste dictait, de commencer par extirper les causes, par la suppression d'un tyrannique monopole, avant de courir à la vengeance des effets, par le châtiment: mais en appelant sur le champ à son épée, le général Gage crut devoir au sang versé de ses compatriotes, de faire marcher un gros corps de troupes, à travers trois cents lieues, fermées de rochers, de forêts, de marres, de rapides, de cataractes, de précipices, de coupe-gorges, en un mot, où une poignée de sauvages en embuscade pouvait égorger à plaisir une armée toute entière.

Chaque colonie fut taxée à sa mise proportionnelle de soldats. Les Canadiens avaient été, pour le grand nombre, élevés parmi ces peuples, compagnons de leur jeunesse, leurs amis de tous les temps, et même leurs parents, par le mélange de sang: il était de la dernière atrocité, de les mettre aux prises avec de si chers ennemis; pour s'inscrire avec légitimité contre leur enrôlement, ils pouvaient tous d'ailleurs se réclamer des dix huit mois, qui, à l'époque de cette expédition, venaient de leur être assignés à Fontainebleau, pour décider et arranger leur transmigration en France. Mais le général en chef prononça différemment. Montréal et les Trois-Rivières (encore alors sous des gouvernements particuliers) rejetèrent hautement de souscrire à cette décision. À Québec, le général Murray, l'ami, le protecteur et le père du peuple, n'eut que la peine de lui notifier ses inclinations; les Canadiens, de leur propre mouvement, volèrent par bandes sous les drapeaux de Sa Majesté, et formèrent une brigade de 600 hommes, la plus leste, la plus brave, en un mot la fleur et l'élite de toute l'armée provinciale.

Les généraux commencèrent par dégrader ces généreux volontaires en serviteurs, et ne laquais, de tout le corps militaire, dont, en bêtes de somme, ils étaient chargés de voiturer sur les épaules les bagages dans les portages, de préparer les diverses cuisines, et d'effectuer à force de bras le transport en canots, sur la route. Un déluge de pluies, dégorgeant des nuages qui règnent dans ces climats assez fréquemment, nécessita l'armée à camper dans une île, sous des tentes. L'inondation présageait une submersion générale: l'épée sur la gorge, on forçait ces malheureux Canadiens d'ériger des digues, et creuser des tranchées, au péril imminent de leur destruction; tans que que les soldats anglais, assis tranquillement sous leurs asiles militaires, en spectateurs oisifs et insensibles, contemplaient avec un souris insultant le spectacle de ces pauvres nouveaux sujets, dont on sacrifiait la sûreté à celle de l'armée anglaise, dont la conservation était sans doute d'une nature bien éminemment supérieure. Enfin le contre-ordre de l'expédition, de la part du général en chef (qui heureusement se ravisait) atteignit l'armée à-peu-près à la mi-chemin: les Canadiens furent congédiés; mais avec des vêtements tout déchirés par le mauvais temps, sans poudre, sans munitions de bouche, sans canots même, pour regagner leur patrie éloignée, que la plupart ne revirent qu'après avoir longtemps erré dans le labyrinthe des forêts, et encore par les soins bienfaisants de ces mêmes barbares (c'est le nom dont l'Europe qualifie les sauvages, nom qu'elle mériterait peut-être à plus juste titre qu'eux) que ces malheureux Canadiens étaient allés combattre, par l'ordre inhumain de leurs nouveaux maîtres. Justice, humanité, reconnaissance de conquérants! voies de nouvelle invention pour se concilier les cœurs de nouveaux sujets! Le journal du capitaine Robert, qui était de cette expédition, et réside actuellement à Londres, fourmille de traits encore bien plus noirs; mais je jette un voile sur toutes ces horreurs que l'Angleterre, au moins pour sa gloire, aurait bien dû venger, indépendamment des égards que méritaient les représentations du général Murray; mais la protection décidée dont ce digne militaire honorait ouvertement les Canadiens, lui valut la perte de son gouvernement. Silence sur tout le reste.

En 1764, en vertu de la stipulation de la législature, l'établissement civil assujettit le Canada à la juridiction des lois anglaises, que ses enfants ignoraient en substance, et qui leur furent administrées dans un langage qu'ils entendaient encore moins; aussi la province de Québec se vit-elle tout à coup en proie à une inondation de gens de loi, de la dernière classe, détachés et lâchés, ce semble, pour envahir arbitrairement les fortunes, et y dévorer à plaisir la substance des habitants. Ces sangsues publiques érigeaient périodiquement, avant l'ouverture des séances, les porches de la cour, en marché public, où les raisons pour et contre, à produire ou à taire à la barre de la judicature, étaient mises à l'enchère, et le prix convenu payé de la main, sans que les pauvres payeurs pussent s'assurer, par eux-mêmes, de l'exécution d'un contrat qui leur coûtait si cher. Le juge en chef, que le gouvernement d'Angleterre était allé déterrer et choisir dans les prisons de Londres, (sans doute, pour donner aux nouveaux sujets une idée de sa justice et de sa vertu, par l'échantillon) et intrus magistrat, dis-je, se mit de la partie et sur les rangs, pour partager ces dépouilles. Ses malversations furent poussées à de si criants excès, que le général Murray, par honneur pour sa nation, fut forcé de le casser de la charge par une sentence juridique, et de l'interdire pour jamais de toute fonction de plaidoirie, dans toute l'étendue de la colonie. Peut-être que la droiture et la bienveillance de mes lecteurs feront grâce au trait suivant d'érudition, qui semble si bien assorti et nuancé à la condamnation originelle des horreurs que je déplore ici.

L'orateur romain (titre le moins précieux de sa gloire, et qui serait bien plus pertinemment qualifié, le grand homme d'État de la République romaine) l'illustre Tullius Cicéron, dans une12 de ses épîtres (qui vaut dix de ses plus belles harangues) s'étudiait à former, pour une glorieuse administration, son frère Quintus, prêteur d'une des îles d'Asie. « Vous êtes parti », dit-il, « avec un assez bon fond de connaissance de la langue grecque; à la faveur de l'application la plus réfléchie, faites-vous un devoir d'en devenir un si habile maître, qu'on ne vous distingue plus, dans vos discours, des naturels du pays; c'est l'honneur de la patrie qui vous en dicte la loi; Rome est liée par sa gloire de faire aimer et chérir tendrement son gouvernement; le titre d'étranger (attesté à chaque articulation, quand, assis sur vos tribunaux, vous administrez la justice, et exercez le plus noble emploi de l'humanité, celui de juger les hommes) ne serait pas une qualité bien préparatoire à vous concilier les cœurs des sujets, en faveur des oracles que prononcerait votre bouche; croyez-moi, cher ami, il est douloureux à tout un peuple de s'entendre à chaque instant rappeler le souvenir amer d'avoir été vaincu. » Quelle finesse de tact, quelle délicatesse de sentiment dans cet illustre précepteur! Tous les écrivains de nos jours semblent s'être concertés en concile œcuménique de littérature, pour placer l'Angleterre en parallèle éternel vis-à-vis la République romaine; et la préséance est toujours adjugée à la première: je signe de grand cœur au jugement; mais pourquoi faut-il que Canada n'ait jamais eu à se louer des tendres exertions de la générosité, la noblesse, la bienfaisance, l'humanité, la douceur, l'impartialité de l'administration, qui dans ses conquêtes illustraient la République de Rome, sous les beaux jours de sa gloire et de sa vertu?

Avant l'ère de la conquête, le Canada dans son étendue excédait la grandeur de l'Europe; il se trouva tout à coup raccourci dans une sphère bien circonscrite, par une ligne de démarcation tirée en 1763 dans le cabinet de St-James, qui le dépouillait par ce rétrécissement de toutes les branches de commerce, de toutes les sources de richesses qu'elle répartissait libéralement à ses dépends sur toutes les colonies anglaises adjacentes. L'Angleterre a été dans la suite bien punie13 de sa partialité libérale. Les Canadiens ne s'aveuglèrent, ne se méprirent pas sur les vues anticipées d'un dénombrement si captieux dans sa politique; ils pénétrèrent très-bien que le gouvernement anglais ne visait d'avance, qu'à faire de tous ses colons un vil troupeau de laboureurs et d'indigents, qu'on pourrait gourmander en toute sûreté avec un sceptre de fer, et conduire à bride en esclaves: mais ils n'étaient environnés alors que de voisins, qui s'agrandissant de leurs dépouilles, étaient autorisés et invités par l'intérêt à les seconder; où trouver donc des amis, pour donner du poids à leurs humbles remontrances? Ces circonstances locales sont aujourd'hui furieusement altérées! Quoi qu'il en soit, les Canadiens soupirèrent-ils du moins bien amèrement dès-lors d'avoir été vaincus, et de ne s'être pas ensevelis tous vivants sous les ruines de leur patrie.

Enfin, dans l'année 1774, la scène de la politique administratrice du Canada changea de décoration totale; le bill de Québec vint prononcer, par l'organe de la législature, non pas la sentence fulminante, (le Parlement d'Angleterre est incapable, du moins intentionnellement, d'asservir) mais l'installation réelle, quoique non méditée, de l'asservissement de la province. Il est étonnant que la nature de cette législation, j'entends sa propriété ou son impropriété, ait été jusqu'à ce jour un ministère impénétrable à toute l'Angleterre; c'est-à-dire à ses plus respectables têtes, à ses plus grands politiques, et à ses plus savants hommes d'État. Les uns canonisent le bill de Québec, et l'exaltent jusqu'aux nues, comme le plus beau chef-d'œuvre de la politique qui soit jamais émané de la sagesse du Sénat britannique; tandis que les autres le foudroient, d'anathème, comme un monstre enfanté dans les ateliers du despotisme, pour la vexation complète de ses sujets: le singulier est, que ces juges en contraste entre eux, pour autoriser leurs jugements respectivement contradictoires, se réclament des jugements même des Canadiens, à qui ils approprient, de prétention, leur approbation ou leur condamnation respectives; l'illusion ne peut être dissipée que par une voix canadienne, qui, organe de toutes les autres, s'explique clairement sur les sensations agréables ou douloureuses qu'a élevées dans les esprits, la législation actuellement sur le tapis; cette voix canadienne, parlant d'après les cœurs qui l'animent, et qui ne peuvent s'égarer dans ce qu'ils sentent, ne peut être suspectée dans ses rapports.

Le bill de Québec réinstalle dans la province les lois françaises; il faut d'abord préfacer, que les législateurs ne se sont énoncés ici qu'en oracles obscurs, dont l'obscurité suffirait en théorie jurisconsulte pour priver de fait leur législation du sceau de la validité, et de la sanction de l'autorité nationale; car nous apprennent les docteurs de la loi, l'obscurité d'une loi décide de sa nullité (lex obscura, lex nulla); et en effet ce terme de lois françaises est ambigu et équivoque, qui n'offre à l'esprit que des idées vagues, indéterminées et indéfinies; il peut signifier ou les lois fondamentales, c'est-à-dire la constitution du gouvernement de France, ou seulement les lois civiles, c'est-à-dire la jurisprudence française; et c'est cette double signification, qui, mal saisie, a été la source primitive des calamités qui ont inondé et inondent encore tous les jours la province de Québec.

Dans cette institution nouvelle pour un domaine britannique, le Parlement n'a pu être animé d'aucune autre intention, que de nous replacer sous l'empire de la jurisprudence primitive, qui nous avait gouvernés sous la domination de nos premiers souverains, parce qu'il sait très bien, que son autorité législative ne s'étend pas au delà de cette restauration: cette jurisprudence, sans doute plus assortie aux notions précoces, dont nous avons été imbus par l'éducation, plus analogue aux titres primitifs de nos propriétés, et conséquemment mieux ajustée à leur conservation légale, enfin intimant de plus, une loi, au moins de convenance, de n'être administrée, que dans le langage naturel que nous tenons de l'enfance; envisagé sous ces traits, dis-je, le bill de Québec est en effet le plus beau chef-d'œuvre de politique, dont la sage condescendance de la législature ait pu gratifier nos besoins et nos goûts; ce bill nous a ouvert l'entrée des dignités publiques avec une réserve, il est vrai, bien partiale14 et de nationalité: n'importe; cette concession a été les prémices de notre naturalisation civile: à ce titre, le bill mérite le tribut de nos hommages et de notre reconnaissance, et nos cœurs ont bien su le lui payer: ce bill nous aurait élevés jusqu'au pinacle de la félicité nationale, si le pouvoir exécutif, ou de l'Angleterre ou de Québec, nous avait retracé dans la province une image parfaite, et nuancée de tous ses traits naturels de la jurisprudence française, mais sous l'administration éminente, sous les auspices et à l'ombre, toujours préservées, de la constitution d'Angleterre, que le parlement, par les limites constitutionnelles, prescrites à ses pouvoirs, ne pouvait pas nous enlever, et beaucoup moins y substituer une constitution étrangère, surtout mal entendue et mal conçue.

En effet, le Parlement d'Angleterre n'est pas le propriétaire, l'arbitre, le souverain de la constitution; il n'en est que le défenseur et le gardien: cette constitution est l'apanage inaliénable du peuple; mais le Canada constitue aujourd'hui une assez grande portion de l'empire britannique pour que ses enfants puissent réclamer, à titre, une part commune dans cet héritage national: et d'ailleurs, si 120 000 âmes sujettes de l'Angleterre, pouvaient, dans l'éloignement, être législativement privées de la constitution, quelques millions de plus devraient bien trembler pour elles dans cette île. De plus, notre naturalisation, notre incorporation nationale à l'Angleterre, a été proclamée solennellement par le rescrit royale de 1763: cette affiliation n'était, ni dans le souverain, ni dans le parlement, une concession de faveur, de pure condescendance, et de seule libéralité; non, c'est un état national et civil, qui, par les lois des nations et le droit des gens, est dévolu aux peuples conquis; tout doit céder à ces titres, fondés sur la nature des sociétés, dont je développerai bientôt les principes, sous leur plus brillant appareil. Il serait donc hors de la puissance parlementaire de nous arracher justement, de violence législative, à la constitution d'un empire, dont notre patrie fait une considérable annexe; ce ne furent jamais là ses vues dans le bill de Québec; beaucoup moins visait-il à nous asservir à une constitution si monstrueusement despotique, qu'elle n'existe dans aucun pays civilisé, et beaucoup moins dans celui d'où on a prétendu la tirer.

En effet la constitution de France, dont on a cru s'appuyer, n'est point une constitution toute dictée par le despotisme, et toute calculée pour lui, comme la censure nous la dépeint tous les jours, par les mains malhabiles de l'ignorance ou de la passion; elle est assortie d'un code de lois très-sages, très-humaines et toutes propres à faire fleurir et aimer un gouvernement. Une nation gouvernée par un système de lois dont le souverain jure à son sacre l'observation, n'est pas esclave; et un souverain qui s'avoue solennellement, le redevable de ces lois, n'est pas un despote: mais ce ne sont pas là les idées en Angleterre, où on se figure la France, comme royaume, où la volonté du monarque est l'unique loi de l'État; aussi au nom des lois françaises, réinstallées dans la colonie, en vertu du bill de Québec, s'est-on cru autorisé d'y ériger un despotisme, armé de tous les pouvoirs, qui en théorie étaient propres à le rendre formidable et tyrannique, et à l'inviter à l'être. En effet la puissance d'un gouverneur de Québec dévore, engloutit toute autre puissance dans le pays; il est universellement maître souverain de tout; à titre de généralissime des forces de Sa Majesté, il dispose en arbitre du militaire: par la dépendance sous qui rampent tous les membres du corps législatif, qu'il crée ou dépose à son choix, ils ne peuvent être que l'écho de ses ordres, s'ils ne veulent être sur le champ dégradés et cassés; le voilà constitué le seul législateur de la province.

Par le rétablissement des corps de milice, dont il nomme tous les officiers, il tient à la gêne et sous le joug les paroisses, qu'il accable de charges et de corvées au gré des ses caprices: enfin, en qualité de grand chancelier, président né de toutes les cours de judicatures, dont il place et déplace à son gré les juges, confirme ou casse par voie de fait les arrêts, c'est lui et lui seul qui en personne, ou par ses substituts, rend les oracles de la justice, selon qu'il plaît à ses passions de les dicter: pour comble de suprématie universellement despotique, sa personne est élevée au-dessus des lois; elle cite tout à son tribunal, tandis qu'elle n'est comptable ni de ses jugements, ni de ses déportements à personne. Un appel à la justice d'Angleterre, n'est qu'une belle théorie pour masquer d'avance les plus vilaines pratiques de l'avenir; c'est une politique de montre, pour faire plus à coup sûr, dupe tout un peuple innocent et crédule. Cet appel n'est que nominal et abusif; en effet la modicité de l'opulence en Canada, arrache radicalement des mains cette ressource d'ailleurs frivole; et s'il y restait encore quelque fortune, viendrait-elle s'épuiser graduellement, se consumer à petit feu et sans fruit à Londres, où le despotisme éloigné ne compte autour du trône, que des fauteurs, des palliateurs du moins, qui veillent à son impunité, par la connivence, qui l'invitent à s'émanciper et s'agrandir dans ses efforts par leur protection, et à se reproduire dans sa tyrannie par le triomphe que tout s'empresse de lui préparer. Mon exemple est ici de démonstration, et va désormais faire loi dans la province. Au moins osé-je défier ici l'œil le plus inquisitif, de déterrer dans les colonies française, un tel monstre de puissance, détaché pour les opprimer. Quel contraste! La France, cette prétendue patrie du despotisme, ne délègue vers ses colons qu'une autorité raisonnable pour les gouverner au moins en hommes; et l'Angleterre, cet empire de la liberté, ne déchaîne contre ses sujets éloignés, qu'une tyrannie gigantesque, armée de pied en cap, pour frapper à coups redoublés; et les assommer en brutes sans sentiments et sans âmes. Eh, de quoi s'avisent ces despotes français de rendre leurs colons heureux; vive la liberté qui n'en fait que des esclaves! Ici c'est le général Haldimand, au moins, qui parle.

Ici la satisfaction publique s'attend à la manifestation de faits éclatants, capables de justifier, de pratique, la véhémence de mes inculpations de théorie. Cette attente est de sagesse d'esprit, et d'équité de cœur: c'est à la satisfaire que j'ai consacré d'avance le long cours de ma captivité: je n'en ai pas consumé les moments à des spéculations vagues, d'une philosophie infructueuse et d'idée, ni à des rêves non digérés d'une vengeance mal combinée; non, mes yeux tous ouverts, je veillai à l'administration du général Haldimand; et mon journal a recueilli et compilé des matériaux suffisants pour former deux volumes in quarto de 600 pages chaque. Par quadruplicata, j'avais soin de dépêcher aux secrétaires d'État, par lambeaux, les évènements aux moments de leur avènement; car je savais que l'histoire des tyrans n'est jamais courte, si non par la durée de leur règne, (casualité selon le génie des peuples) du moins par la reproduction toujours renaissante de leurs tyrannies: et pour le triomphe de l'information, je ne devais no embrouiller les matières par leur multitude, ni surcharger en bloc de lectures des hommes d'État, qui n'ont que peu de moments pour chaque objet. En attendant la publication de cette curieuse compilation, voici quelques traits frappants, qui, quoique offerts en miniature, peignent le général Haldimand dans toute la longueur de sa stature administratice.

L'histoire isolée de mon emprisonnement affecte, sans doute, remue, attendrit les bons cœurs, mais les gouvernements ne se piquent pas de tendresse; et dans nos jours inhumains, la première qualité d'un ministre, constitue dans une insensibilité radicale; et, à les juger tous dans la généralité par les faits, on les prendrait pour des êtres dépouillés ( en vertu de la nature de leurs offices) de toute entraille, et qui font gloire de cesser d'être hommes; mais l'histoire de la captivité de tout un peuple, ou mis par bandes réellement à la chaîne, ou sujet de caprices, à être enchaîné en corps, alarme, doit du moins alarmer l'administration d'un pays, parce qu'une calamité, une oppression générale, est le symptôme naturel et ordinaire d'une révolution qui s'approche. Voilà l'horrible situation sous laquelle a gémi, et gémit encore la province de Québec: je pouvais y compter par centaines15, les compagnons de mes fers, tirés des classes les plus respectables des citoyens. Les inquisitions d'Espagne et de Portugal, au plus fort de l'exertion de leur fanatisme monacal, ne peuplèrent jamais leurs cachots infernaux avec plus de rapidité, que l'inquisition d'État établie à Québec, dans les derniers troubles, n'y emplissait les prisons militaires, de captifs. Le nom de Bostoniens, articulé même sur le ton de l'indifférence; que dis-je? le seul soupçon de ne pas abhorrer ce nom, constituait un crime d'État, qui décidait de la perte de la liberté des citoyens. On les enlevait par douzaine et plus à la fois, du sein de leurs familles, sans respecter les larmes d'un père, d'une mère, d'une épouse, des enfants, dévoués aux horreurs de l'indigence, par la privation de leurs soutiens et de leurs chefs: le Canceaux regorgea bientôt de la multitude de ces victimes; cette foule condamnée à une mauvaise nourriture, et à la malpropreté, produisit bientôt l'infection; l'infection engendra la contagion, qui aurait bientôt gagné Québec, sans la sage précaution de faire descendre le vaisseau jusqu'à l'Île d'Orléans.

Au milieu de ces horreurs, pour en amplifier ce semble les ravages, l'économie inhumaine du général Haldimand vint raccourcir les rations aux prisonniers. Le maître du navire, se souvenant qu'il était homme, crut devoir détacher tous les jours un captif, pour aller dans l'Île, mendier, au nom des infortunes de ses collègues, quelques secours pour le soulagement commun; bientôt ces malheureux n'étalèrent plus, sur leurs faces et leurs personnes, que le spectacle de la nudité, de la langueur, de la famine, et de leur dissolution prochaine. En vain, dans leur désespoir, cette troupe d'infortunés prisonniers, frappa-t-elle par une supplique commune, à la porte du gouverneur, et réclama-t-elle la justice du gouvernement: non; une trentaine expira dans les agonies, mille fois reproduites du plus affreux dénuement.

Un gros corps de prisonniers, d'une classe respectable de citoyens, avait épuisé toutes les ressources de leur fortune, à adoucir la dureté de leurs fers. Ils n'étalaient plus que des corps décharnés, dont la nudité forcée faisait horreur à la nature: quelques âmes, inspirées par l'humanité, se mirent à la tête d'une quête publique pour soulager de si touchants besoins; mais le général Haldimand n'était pas homme à ne faire que des malheureux à demi; peu content d'avoir rogné, d'avance, la ration affectée par l'État à ces prisonniers, il réprouva, sous les prohibitions les plus rigoureuses, cet acte de miséricorde citoyenne, et condamna ces misérables victimes à périr sans ressource, sous les coups toujours grossissants de la plus horrible indigence. Le malheureux André, resserré incognito pendant tout le cours d'une année et demi, fut réduit à trois quarterons de pain et quelques gouttes d'eau pour toute nourriture, sous un climat dévorant: tout usage de feu lui fut interdit durant la longueur et la sévérité de l'hiver, qui gelait les animaux mêmes dans les forêts. Sa femme déterra enfin le théâtre malheureux de sa captivité: elle accourut au secours de son époux avec quelques adoucissements, que ses larmes avaient mendiés dans sa douleur; mais elle fut rebutée, en lui reprochant comme un crime d'État de n'être pas née avec des entrailles aussi dures que le gouverneur Haldimand; et combien d'autres victimes emprisonnées ainsi dans les ténèbres, pour les soustraire à la connaissance et à la tendre bienveillance de leurs amis!

À propos, l'Europe n'a pas oublié la mémoire de l'homme au casque de fer, ce fameux prisonnier, relégué sur la fin du règne de Louis XIV, à la Bastille, avec sa face ainsi affublée de ferrailles: il n'ouvrit jamais la bouche pour parler, quoiqu'il affecta d'exhiber bien souvent une langue, à qui il démangeait de s'exercer. C'était assurément un homme du rang le plus élevé, car le gouverneur du château en personne le servait, tête nue, sur de la vaisselle d'or. Eh bien! il existe encore, du moins existait-il à Québec, à mon départ, un petit échantillon de ce célèbre casque de fer. On a confiné dans les appartements les plus exhaussés de la prison, un homme de considération, à le juger du moins sur quelques apparences, saisie à la volée; car la sentinelle avait ordre de faire seul sur lui, s'il lui échappait de s'exposer aux regards publics à travers les étroites ouvertures de la grille de la fenêtre. Les soupçons publics représentaient dans la province cet inconnu, comme un de ces gentilshommes français, qui dans les derniers troubles vinrent faire une apparition à Québec, et dont la mission reste encore un mystère politique jusqu'à ce jour. À la suite de tant de tragiques récits, une réflexion vient me frapper: la France, cette despote en chef, au jugement de l'Angleterre, crut devoir à sa gloire de verser sur un échafaud le sang du despote Lally; il s'en fallait bien cependant que les violences de Pondichéry n'égalassent, en nombre et en noirceur, celles qui se sont produites et reproduites à Québec. Quelle sera la destinée qui attend ces dernières? Ah, ah, ah, ah, ah, ah, ah!

Rappelez-vous, surtout ici, Messieurs, la catastrophe lamentable de l'infortuné Germain du Cap Santé, homme dont l'honnêteté reconnue méritait un meilleur sort: il était né avec une constitution robuste; quelques mois de domicile dans ce séjour ténébreux d'angoisse et de douleur, le précipitèrent dans des convulsions, qui annoncèrent sa dissolution prochaine; ce fut dans cet état où la nature lutte contre sa fin, que ce malheureux fut renvoyé chez lui: mais il était trop tard; quelques jours après, il rendit l'âme, dans des contorsions effroyables, entre les bras de sa famille, qui vomissait les plus terribles imprécations, non seulement contre l'auteur de tant de barbarie et de leur ruine, mais contre le gouvernement, qui avait pu fixer son choix sur un tel monstre, pour gouverner tout un peuple.

Cependant l'administration de Québec se lassa non pas de garder sous la clef, cette légion captive, mais de la nourrir; car il fallut en venir là, ou la massacrer tout d'un coup. La justice demandait que ces prisonniers fussent rendus à leurs familles, après une absolution juridique; avec leur liberté, ils auraient du moins emporté chez eux leur honneur, qu'ils n'avaient pas mérité de perdre: mais leur réhabilitation civile aurait été, aux yeux du peuple, une condamnation formelle de l'exertion du pouvoir qui les avait injustement punis: le gouvernement se fit une maligne politique, de se conserver, au moins de présomption apparente, la gloire d'avoir été justement cruel. On eut donc l'habileté de ménager, avec une artificieuse malice, leur évasion. Que dis-je? Les militaires les invitaient, les contraignaient même à la fuite: les uns s'embarquèrent à la sourdine pour des pays étrangers; d'autres, à travers l'obscurité des forêts, cherchèrent un asile dans le sein des colonies américaines, où ils résident encore; la plupart, par le chemin battu, se rendirent tranquillement chez eux, d'où le gouvernement ne fit jamais même mine de vouloir les relancer: apathie de l'administration, qui attestait non seulement sa faiblesse présente, mais encore l'injustice préliminaire, qui, sans titres légaux, les avait dépouillées de leur liberté: je dis, sans titres légaux; car dans les prémices, comme dans l'époque finale de tous ces emprisonnements, il n'y eut jamais de procédure civile, ni un seul jugement pour les justifier, même pour la montre.

La censure s'inscrit tous les jours, avec un plaisir affecté d'humanité, ou de malice, (cela dépend) contre ces fameuses lettres-de-cachet, qui, sous la dictée du despotisme, règnent en France; mais depuis plus d'un siècle et demi que durant la fondation de la colonie jusqu'à la conquête, on compte moins de ces emprisonnements d'emblée que n'en a produits une seule semaine de l'administration du général Haldimand. Dans ce long intervalle, les Canadiens, jouissants des douceurs d'un gouvernement effectivement modéré, cultivaient leurs domaines en paix, et en toute sûreté, sans avoir à trembler pour leur liberté. Infortuné peuple! de quel crime étions-nous coupables pour être vaincus? On a lu avec fureur l'histoire de la Bastille, nuancée de ses couleurs naturelles, ou d'emprunt et de fard ( je l'ignore, n'y ayant jamais pris mon logement); mais à la Bastille, on n'y extermine pas les habitants, sous le couteau lent et mal aiguisé de la famine; on y expédie (assure-t-on) les accusés par voie de fait: eh bien! c'est humanité que de couper d'un seul coup le fil d'une vie souffrante; il n'est que le raffinement de la cruauté, qui puisse se délecter à faire goûter à longs traits les agonies réitérées de la mort, avant de la donner tout à fait.

La douleur est un siècle, et la mort un moment. - GRESSET.

Le 21 d'octobre 1776, l'officier Osleby, seul héritier de sa famille, (dont le père, dit-on, occupait une des premières dignités militaires), fut poignardé, en plein jour, d'un coup de baïonnette dans l'estomac abord d'une frégate, où il avait été invité pour une partie de plaisir; il resta, jusqu'au lendemain nageant dans son sang, et presque dénué de toute assistance, dans une cabane du vaisseau; il fut enfin transporté, dans une hôtellerie, où je lui cédai de grand cœur mon appartement, qu'il méritait, dans sa déplorable situation, bien mieux que moi; il expira, deux jours après, sous les pointes aiguës des plus cuisantes douleurs, encore couvert de sa chemise sanglante, dont on ne l'avait pas seulement dépouillé, pour receler sa blessure, faisant retentir, avec transport, les échos de sa chambre, des plaintes lugubres de son assassinat. Dans tout pays civilisé, on aurait érigé un échafaud, élevé de coudées, en proportion de la grandeur de l'attentat, et de l'exaltation des coupables: à Québec, l'officier, préposé par la couronne pour faire la revue du cadavre, et prononcer sur le fait, d'après les dépositions des témoins, procéda à l'exercice de ses fonctions; mais le militaire qui présidant à l'enquête, sacrant, fulminant les plus terribles imprécations, et menaçant d'une fin aussi tragique, tout témoin, qui oserait inculper quelque vivant, renversa toute la nature des procédures; l'hôte, (M. le Moine) pâle, tout tremblant, et à moitié mort de frayeur, délivra sa déposition, mais en homme qui pensait, selon le droit de la nature, à sauver premièrement sa vie: le mort perdit donc sa cause; le coupable fut absous, et embarqué sur le champ pour l'Angleterre, où il alla ensevelir dans la foule la noire criminalité de son infâme assassinât. Si la famille du malheureux décédé le 24 octobre 1779, venait jamais à être au fait des circonstances criantes qui l'ont privée de leur unique soutien, elle frémirait d'horreur, et de rage, que sa patrie ait pu conniver, jusqu'ici, à des atrocités d'une trempe si noire, et si barbare.

La tyrannie n'est pas toujours altérée par la soif du sang, que l'occasion d'ailleurs, ne lui met pas toujours sous la main et à sa portée de verser: elle se rabat alors sur les fortunes des citoyens, qu'elle fait habilement s'approprier, et grossir le corps de son opulence par ces dépouilles. Le général Haldimand, après sa visite hivernale de Montréal, concertait son retour à Québec; mais son excellence trafiquant de sa dignité, qui l'élevait au-dessus des lois, protesta, qu'il n'entendait payer que la moitié du prix affecté à chaque voiture, et le rabattant en sa seule faveur, à 6 sols par lieue. Quelque temps après les capitaines de milice, sur la route, qui auraient cru ravaler la grandeur de cette excellence, que de la suspecter d'un si mince grappillage dans le rabais, déférèrent leurs plaintes au tribunal du gouverneur même. Les petites âmes, dans l'exercice fréquent de leurs petitesses, sont sujettes à manquer souvent de mémoire: oubliant ce qu'il avait été, en faveur de sa basse cupidité, le général Haldimand fit appeler, sur le champ, le courier Labadie, qu'il débuta par couvrir de toute sorte d'opprobres, pour sa malversation; mais le fin messager, qui avait bien connu son maître d'avance, avait commencé, par le muni au préalable d'un ordre par écrit, qu'il produisit froidement, pour sa justification au censeur, tout au moins indiscret. Tout homme d'éducation et d'honneur aurait rougi de se trouver, par cette preuve manuelle, en contraste avec lui-même, et condamné coupable par une telle signature: mais un grand parvenu d'accident, est dispensé des sentiments que l'honneur doit faire naître dans un cœur honnête, à l'évidence de la violation de la loi. Levant alors la tête, en homme qui est au-dessus des règles, et sur un ton dictatorial, Monsieur le gouverneur s'écria: « Vous êtes heureux, Labadie, d'être en passe de produire une pièce si décisive; car, sans cette exhibition, vous seriez allé dans une prison. » À la suite de cette rodomontade, il salua les plaintifs d'un air de protection; il es congédia, et ce fut-là la seule indemnité dont ils furent jamais gratifiés. Un gouverneur français, ( si cependant son autorité avait pu s'étendre si loin ) aurait cru imprimer une tache ineffaçable à sa personne, que de défrauder ainsi de leurs salaires les artisans de son gouvernement; mais la voracité foule aux pieds toute grandeur de sentiment; active à récolter, elle se fait même une gloire de glaner: partout on taxerait une telle mesquinerie d'extorsion, de rapine, de concussion; je ne sais de quelle appellation elle sera qualifiée en Angleterre, ... ce n'est-là, à la vérité, qu'un petit trait, mais qu'il recèle des vérités plus éclatantes à pénétrer! ... Une enquête dans le grand ... ah!

Une rue adjacente au château de St-Louis était munie d'un excellent puits, qui approvisionnait de son eau toute le voisinage. Cette belle et précieuse source sembla de convenance au général Haldimand, pour l'irrigation aisée de ses jardins, dont il vendait les légumes: il débuta par faire boucher, par voie de fait, le passage de la rue, par une palissade de pieux adossés, et élevés en forme de chaussée, et finit par environner le puits d'une forte clôture: les habitants, privés d'une ressource aussi nécessaire que l'eau, et déboutés de toute espérance de mettre à profit leurs appartements par le louage, furent pour la plupart réduits à plier bagage, et à aller planter le poquet ailleurs; cependant le feu prit à une maison située dans la rue, et la consuma toute entière en cendres, avant qu'on eût le temps d'y porter aucune assistance, à raison non-seulement de la clôture du puits, mais de la distance d'un gros mile, qu'il fallait parcourir, par atteindre à la maison incendiée, par l'issue opposée de la rue, qui seule restait. Cet accident ne prévalut pas sur la justice du général Haldimand, pour restituer au public un bien qui lui avait été ravi, à sa ruine. Le despotisme n'a des yeux et un cœur que pour lui-même; et il se console aisément, dans le sein de ses aisances, des calamités qu'il fait pleuvoir à grand flots sur les pauvres sujets.

Les corvées sont la rune de la colonie, par leur choix déplacé, et un des plus grands obstacles apposés pour sa fructification: elles constituent à enlever, à la moindre injonction du gouverneur, un habitant, de ses occupations domestiques, pour l'appliquer à tout usage public, qu'il plaira à son excellence d'ordonner, de caprice, et même de passion: les pères, les enfants, sont arrachés, souvent pour des mois entiers, du sein de leurs familles, qui, dans l'absence de leurs uniques soutiens, tombent dans les abîmes de l'indigence à petit feu, de dessus la surface de la terre. Et les logements des gens de guerre! Ah! qu'on se figure un vainqueur entrant d'assaut dans une place, s'appropriant en maître les plus commodes logements, réglant lui-même, selon ses goûts arbitraires, la qualité de son lit, ustensiles, et bois de chauffage, sans se soucier s'il est à la portée du fournisseur de les procurer, sans se ruiner. Gare au sexe, si la nature l'a paré de quelques charmes! Si l'opprimé ose se réclamer du droit des gens, marmotter entre ses dents le plus léger murmure, la justice est administrée à ses plaintes à grands coups de bâton, qui pleuvent à grands flots, et à bras raccourcis sur sa personne.

C'est avec des armes bien mieux affilées et plus meurtrières, qu'un militaire s'ouvrit un accès chez un marchand de campagne: il s'annonça en homme à message pour la femme du trafiquant, alors dans les infirmités et les douleurs de ses couches: le mari fit valoir cette situation pitoyable, comme un titre assurément bien recevable, pour la non-introduction du message: mais les armes sont au-dessus des lois les plus sacrées; à plus fortes raisons, de ces lois triviales de decorum et de bienséance. Le militaire en appelle à son épée, qu'il dégaine avec fureur; il en frappe rudement, et blesse dangereusement cet insolent époux, qui s'avisait ainsi de s'ériger en protecteur de l'honneur de sa moitié; la flamberge encore voltigeante, il voulut forcer le passage, jusqu'au lit de la dame presqu'agonisante sous les palpitations de la frayeur. Victoire de coupe-jarrets, qui n'aurait pu échapper à l'échafaud que sous une administration Haldimande.

C'était ainsi que ces vaillants conquérants se rendaient, haut la main, maîtres souverains des domiciles des marchands et agriculteurs; les femmes, les filles, les sœurs, entraient, en cortèges, dans la masse des dépouilles de la victoire. Les pauvres curés eux-mêmes, malgré la respectabilité sacrée de leur caractère, étaient les victimes de ces scélérates expéditions: e vain, pour adoucir la férocité déchaînée contre leurs paroisses, et se parer au moins contre ses coups, faisaient-ils parler d'avance, en leur faveur, la prévenance, la bienfaisance, et la cordialité conviviale: au sortir du banquet, ces convives militairement reconnaissants jouissaient, avec tout le phlègme de l'apathie, du spectacle de leurs soldats; qui, pour se régaler à l'exemple des maîtres, et aux mêmes frais qu'eux, faisaient des irruptions sur les bêtes à corne, que la main, quoique peu heureuse, de la prévoyance, avait recelées sous l'abri du presbytère même: mais nul asile n'est sacré pour la race gloutonnerie et le brigandage. Un de ces infortunés ministres de la religion eut sa propre sœur brutalement insultée, pour dessert à un festin qu'il avait donné. Toute la nature se révolte à de si lamentables récits: je brise donc ici avec toutes ces noirceurs; mais si la justice du gouvernement se piquait jamais de vouloir en recueillir un journal plus détaillé, elle n'a qu'à se faire représenter le rôle fidèle des gardes, des années 1778 jusques à 1873; elle y lira un assez bel échantillon des annales de Newgate.16

Enfin les opprimés déféraient-ils au tribunal primitif l'atrocité de ces violences ... Allons, c'est un Bostonien, un rebelle, qui dénie chez lui un asile aux soldats de son roi: vite ... en prison, ce traître, ce perfide à la cause de son souverain! Et le paiement de ces logements! Silence! les vaincus n'ont rien qui ne soit au vainqueur. Riche victoire! précieux butin! pillage abondant, et toujours fructifiant!

D'après l'estimation publique, l'opulent général Haldimand a thésaurisé à Québec une somme de 200 000 liv. st. déjà sagement voiturée, et heureusement rendue, dans la Suisse sa patrie, par une politique économie: c'est une fortune qui excède l'opulence de dix bourgeois, c'est-à-dire de dix des hauts et puissants seigneurs du Canton de Berne. Ah! c'est que ce gouverneur a réuni bien des titres sur sa personne dans son gouvernement. Outre la qualité de gouverneur, brochante et broderie d'or sur l'ensemble, il y figure en maître charpentier, maître menuisier, maître maçon, maître charretier, maître pionnier, maître fossoyeur, maître guichetier, ( oh, pour le coup, le paranymphe, des plus rébarbatifs guichetiers! ) maître forgeron, maître jardinier, maître ... Attendez, je n'ai pas feuilleté son livre de compte, où son spécifiés tous les titres de ce maître aliboron17. Mais tant de salaires bien calculés et complètement additionnés doivent produire, en somme, un furieux capital. Si M. Haldimand n'était pas ici partie intéressée, son économie rigide réclamerait une enquête générale, pour justifier la totalité de la calculation. Belle instruction!

Cependant en 1781, le nombre de ces réfractaires à ses corvées s'était prodigieusement amplifié dans le district de Montréal; se fondant sur les droits de la nature et de la raison, et en vrais interprètes des sentiments de Sa Majesté, les conservateurs de paix se déclarèrent les défenseurs et les pères des pauvres agriculteurs opprimés; et sur l'évidence des faits, ils se refusèrent à condamner des malheureux pour des infractions dont la raison et la justice les absolvaient. À la nouvelle de cette humaine décision, le chirurgien-juge, l'impérieux M. Mabane, vole en poste de Québec à Montréal; il convoque sur le champ une assemblée générale des conservateurs de paix; il y somme, au nom du souverain, d'y conserver dans toute leur vigueur la teneur des lois: à cette autorité respectable, mais ici si indignement prostituée, une désobéissance, de nécessité, à la police, est punie en crime volontaire et public; les réfractaires condamnés à l'amende de cinq liv. st.; et les impuissants d'indigence, claquemurés dans un indigne prison. Juste ciel! des bêtes de charge qui regimbent contre un joug trop pesant, à qui on les atèle, pourraient-elles être plus sévèrement fustigées? Pauvres Canadiens, bridés, emuselés, entravés et fouettés ainsi, sans pitié, sous le garrot! Bataille, première bataille de Québec, nous frapperez-vous toujours? Vos coups sont-ils donc faits pour être éternels, toujours reproduits et renaissants de nos blessures? Ah! illustre marquis de Bouillé, est-ce ainsi que votre grande âme a perverti l'usage de la victoire? Les vaincus, sous vos mains, n'ont-ils pas été les enfants les plus chéris de l'État conquérant? Leur reconnaissance n'éclate-t-elle pas aujourd'hui, pour exalter la grandeur de votre générosité et de votre clémence? L'Angleterre admirante, ne se fait-elle pas une gloire de porter à vos pieds le tribut de sa reconnaissance et de son respect? Ah! je reconnais à ces traits le génie noble de la nation anglaise; elle donne ici la plus belle idée de sa vertu, en payant ses hommages à la vertu du grand homme qui n'a été vainqueur, que pour devenir bienfaiteur. Le Canada n'aura-t-il jamais les mêmes remerciements à lui payer pour sa protection et ses bienfaits, au nom du moins de tant d'illustres français, qui viennent de faire envers des Anglais un si noble usage de leur victoire? ... Mais je ne fais ici que crayonner; encore un coup de pinceau, cependant, pour l'embellissement, ou plutôt l'enlaidissement du portrait de ces indignes corvées.

À une époque antérieure à la précédente, un jeune époux, nouvellement enrôlé sous les lois de l'hyménée, s'était formé un établissement dans les territoires enfoncés, et à la lisière même des bois; isolé de tout proche voisin, il vivait au sein de l'industrie et du travail, dans sa solitude, de compagnie avec son épouse qui composait alors toute sa famille: sa grossesse déjà fort avancée, et le manque de compagne adjudante, semblaient absoudre le mari de toute sujétion aux corvées, et en réclamer en sa faveur l'immunité: point du tout: il n'échappa pas à l'ordre inhumain du capitaine de milice de partir sur le champ, et de marcher, dans l'éloignement, aux travaux publics. C'était condamner la mère et le fruit à une destruction inévitable, par ce départ: au nom des droits de la nature, l'époux appela de la sentence, et il ne s'écarta pas un seul moment de ses foyers domestiques, où du moins la moitié de lui-même le captivait par devoir. À la nouvelle de cette contravention, la judicature, en alarmes, l'assigna de comparaître à la cour; il produisit avec lui son unique témoin, sa femme, qui par sa pitoyable présence plaidait éloquemment la cause de l'accusé; mais elle plaida mal, du moins elle perdit son procès à la cour: car il y fut condamné à l'amende; condamnation, il est vrai, de pure parade, et seulement de forme publique, publiquement prononcée par respect prétendu pour la loi; car le condamné fut sous main absous du paiement. Stupides juges! pour faire respecter la loi, ils la déclarèrent, par un jugement solennel, une homicide de droit, une assassine d'autorité: n'était-ce pas la déshonorer dans son essence? La gloire première d'une loi civile, n'est elle pas sa vertu civile, c'est-à-dire, sa tendance au bonheur public? Peut-on prêter à un législateur, et surtout un législateur de police, l'intention de massacrer les sujets par leur législation municipale? S'il pouvait être animé de vues si sinistres, ce serait lui qui mériterait non pas d'être mis à l'amende, mais cloué à la plus cruelle des croix: c'était le capitaine de milice, qu'il fallait amender pour son ordre mal réfléchi, et barbare dans son irréflexion; l'honneur de la loi aurait été mieux vengé par la punition du seul coupable: et d'ailleurs, oubliaient-ils ces juges mal appris, le principe de loi si vulgaire, qu'il a dégénéré en proverbe, une 18exception est une confirmation de la loi. Ah! ces insensibles magistrats n'oubliaient pas ce premier axiome canonical mais un plus grand intérêt, que l'observation du droit civil était l'âme de leur décision: ces lois de police municipale, injonctives des corvées, ne sont autre chose que la volonté arbitraire du gouverneur, manifestée au Conseil législatif, forcé de plier sous les caprices du chef; ils visaient donc à apprendre aux peuples, toujours dupes des apparences, de respecter à tout prix les moindres sons de la voix du gouverneur, jusques à marcher sur les cadavres sanglants de leurs femmes, et de leurs enfants, pour voler à l'obéissance; système, marche du despotisme! les mercenaires! les esclaves cruels!

On n'a que trop bien réussi, à la faveur de ces artifices, à rendre ce despotisme formidable; il y met tout généralement si fort à la gêne, il tien à tout si cruellement le pieds sur la gorge, que jusques sous les coups de son glaive tranchant, il faut ou se taire, ou périr19, au premier soupir de l'oppression: la terreur, qu'il imprime à Québec, a fait la traversée, jusques dans cette capitale. Le capitaine Brown, commandant le Tarleton, qui m'a amené ici, balançait de se rembarquer pour la province, sans l'original de mon passe-port, en vertu de qui j'en étais sorti légalement; et il ne s'est rassuré sur la validité d'une copie légale, que sur les témoignages réitérés des docteurs de la loi. Quelques uns des nos messieurs, de retour chez eux, tremblaient de se charger de mon mémoire; et en effet, au ton sur lequel le général Haldimand a montré son effroyable autorité, je ne serais point surpris d'apprendre, que ce monument de ma justification a été proscrit, comme un libelle séditieux contre l'État, et la lecture interdite sous les plus foudroyants anathèmes. Sous une 20restrainte si rigide, et si accablante, que reste-t-il à la voix étouffée des opprimés? Pourrait-elle forcer son chemin, jusques aux oreilles un peu dures des ministres, et d'ailleurs bien peu jalouses de l'instruction? car, après tout, deux députations, de la part des anciens et des nouveaux sujets, ont déjà annoncé, autour du trône, les plaintes et les gémissements de la province; c'en serait bien assez pour être instruit, si on voulait l'être.

Au moins, Messieurs, ai-je la satisfaction d'être autorisé à vous annoncer de certitude, (si cependant la politique n'a pas juré un divorce sacrilège et éternel, avec la vérité) que le rappel du général Haldimand est enfin tout à fait décidé dans le cabinet; voilà l'aurore de votre liberté, qui commence à poindre, et même à briller: je défie aujourd'hui ce gouverneur, de suspendre un moment votre prérogative (dont tout sujet est investi en Angleterre) de procéder à votre défense, et à la vengeance constitutionnelle ou légale de vos droits: il n'est plus aujourd'hui à Londres qu'un coupable avéré, et condamné au tribunal de tout honnête et vertueux patriote; dans des conjonctures si défavorables pour lui, il ne lui reste plus qu'à mendier votre indulgence, par une modération quoique tardive, et de ne pas armer de nouveau, et provoquer encore votre juste colère par ses renaissants attentats, dont, après tout, le triomphe serait bien court. C'est donc à un brave peuple, tel que vous êtes, à attester, par des mesures mâles et vigoureuses, à l'Angleterre, qu'il n'était pas fait pour être la victime d'un insolent étranger, qui a osé s'ériger parmi nous en tyran.

En 1781, les négociants les plus respectables avaient formé un corps de délit, contre quelques branches de l'administration du général Haldimand: il fallait une contre-batterie, pour repousser une attaque si vive: l'invention d'une invasion prochaine de la province par les Américains, fut bientôt forgée dans les ateliers ténébreux du château St-Louis; la proclamation en fut annoncée avec toute la pompe et l'apparat que méritait un État menacé; une assemblée générale fut solennellement convoquée à Montréal, pour y tracer un plan vigoureux de défense, la plus assortie au succès: la fidélité au souverain appela en grand concours les habitants, et en remplit de bonne heure la salle de convocation: mais quelle fut la surprise générale des spectateurs, lorsqu'ils vinrent à s'éclaircir, que ce n'était point l'État qui sommait les sujets de l'exertion de leur patriotisme et de leur courage pour sa défense, mais le général Haldimand, qui, par substitut, venait mendier des éloges de la part des victimes mêmes, qu'il se faisait un plaisir malin d'opprimer! Le juge Fraser produisit une adresse, farcie de compliments assez mal assaisonnés, sur l'admirable administration du gouverneur: à ce spectacle l'indignation, succédant à la surprise, congédia une bonne partie de l'assemblée; mais les espions étaient apostés en sentinelles, pour compter les fugitifs.

Dès le lendemain matin, le brigadier-général Mac Lean cita tous ces réfractaires au rescrit mensonger; il les admonesta sévèrement, en hommes légitimement suspectés d'être animés de l'esprit Bostonien, comme s'il fallait être né à Boston, pour avoir appris de bonne heure à ne pas louer les tyrans. Enfin, après bien des menaces et d'indignes traitements, leur absolution ne leur fut délivrée, qu'au prix de leur signature21, niée et reniée tous les cris de leur conscience; c'est-à-dire qu'il leur fallut être panégyristes frauduleux et subordonnés, pour ne pas devenir des captifs réels. Telle est en substance le prix et la valeur de ces écrits publics, promus par la faction, où des centaines de noms sont inscrits, sans qu'un seul cœur vrai et libre ait peut-être souscrit. Sans doute, qu'en faisant les adieux à Québec, le général Haldimand se prépare à en emporter quelque pièce de ce faux aloi, et frappée au même coin, pour venir, à la faveur de son faux lustre et de son cliquant, imposer à la crédulité de Londres, sur la nature de son administration, par le ministère de quelques papiers publics, qui ne sont pas autrement délicats ni inquisitifs sur la valeur de ces sortes de monnaies; mais cette capitale instruite n'envisagera plus ces louanges mendiées, achetées, ou extorquées, que comme les témoignages frauduleux d'un tyran qui, sentant lui-même sa honte, se tourne, se retourne, s'enveloppe lui-même en vrai imposteur, pour pallier sous une belle enveloppe, et y masquer, la noirceur de ses attentats. Voilà les succès futurs de sa future adresse, que je me charge d'analyser au public.

M. François le Maître Duème jouissait de très-beaux moulins à farine et à planche, érigés par le premier propriétaire, avant la conquête, pour l'amélioration de sa terre. La sagesse du gouvernement français se faisait une loi de politique, non-seulement de seconder ces fortes entreprises, par ces consentements, mais encore d'inviter, par ses dons, à ces ouvrages d'un service infini, pour faire fleurir une colonie fertile en grains, et abondante de toute part en bois de charpente et de construction. Il recueillait, en paix, au centuple, les fruits de son industrie, et le produit des avances, lorsqu'un nouveau-venu, un Suisse, M. Conrad Guguy, s'avisa de réclamer la jouissance des eaux, achetées d'avance à grand prix par M. le Maître Duème: cette réclamation était une insulte à toute la colonie témoin oculaire du contrat primitif, une violation de la bonne foi publique, sous les auspices et l'ombre de qui la transaction avait été conclue, et enfin un démenti formel à la France, qui, dans les jours de sa domination, y avait apposé le dernier sceau de la validité, par son autorité; aussi le trop avide demandeur fut-il débouté de ses demandes, et condamné aux frais par les deux tribunaux de judicature de la province, qui pour le coup ne s'étaient pas abouchés et concertés avec le gouverneur, pour prendre langue sur les oracles qui devaient être dictés et prononcés.

Piqué contre la magistrature qui avait ainsi empiété sur les droits universels de son despotisme, le général Haldimand cassa les deux jugements à coups de baïonnettes; pour mettre la dépouille canadienne entre les mains de son compatriote, il détacha une compagnie de 60 hommes, sous les ordres du lieutenant d'Ambourgés, pour abattre la chaussée; les eaux, dégagées de leurs entraves, s'extravasèrent dans leur ancien lit; les moulins furent arrêtés; le Suisse Conrad triompha; et le pauvre Canadien22 resta ruiné, et il le sera aussi longtemps qu'il plaira à l'Angleterre de nous donner des tyrans qui soient au-dessus de la justice et des lois.

Ce dernier trait caractérise un esclavage général et complet. Une province où les titres les plus authentiques d'acquisition ne constituent pas des titres authentiques de conservation, où les jugements les plus solennels de la loi ne sont pas les gages les solennels du triomphe des plus beaux droits, où enfin la volonté dépravée d'un homme règne seule à la place de la justice naturelle et civile, cette province, dis-je, n'est qu'une grande prison d'esclaves qui ne peuvent raisonnablement se promettre qu'une jouissance chancelante et précaire de leurs fortunes, de leur honneur et de leurs vies; elle lutte donc contre un état violent de société dont par toutes les lois sociales elle est autorisée à secouer le joug et à s'en émanciper à tout prix; oui, à tout prix. Un individu, en vertu du droit naturel de défense, est titré de frapper avec les mêmes armes dont on vise à le frapper; la juste engeance de tout un peuple s'étend à des prérogatives d'une étendue bien plus illimitée; au nom de l'autorité primitive du contrat social, elle appelle, outre la punition des délits, la réinstauration des lois constitutionnelles, sous d'administration d'une judicature juste, libre, mais surtout respectée et obéie.

De la part du bill de Québec décrétant, on nous devait dans la province cette judicature armée de toute ses pièces, pour une sage exertion et un triomphe assuré: point du tout: on nous a fagoté une corporation judicielle emmagottée de tronçons mal-assortis et mal-unis, anglais et français, et qui, à cette corporation monstrueuse, n'est d'aucun pays de l'univers, excepté celui où l'on veut à tout prix que la tyrannie règne. Que signifient chez nous cette Cour des plaidoyers communs et celle du Banc du roi? La jurisprudence français ne connaît point de ces des tribunaux, qui, par cette duplicité, mal-assortis à ses lois, né font non-seulement que compliquer et embarrasser les libres ressorts de sa justice, mais exposent celle-ci à une imminente subordination par le nombre bien raccourci des juges qui y président. En Angleterre, il importe peu à la sûreté des jugements que deux ou trois juges (et même un seul) siègent dans les Cours, parce que ces juges n'y jouent que le personnage de rapporteurs, dont tout l'office se réduit à mettre fidèlement les pièces du procès sous les yeux des jurés, à qui seuls appartient le droit exclusif et inaliénable de former et de prononcer les jugements23; mais en jurisprudence française, où c'est aux juges en personne à décider, trois juges, présidents de ces deux Cours, réduits surtout à l'unité par l'esprit de faction, rien que trois juges; mais avec ce système, dans le cours ordinaire des passions humaines, la justice doit être vendue à beaux derniers aux sollicitations et aux partis, avant même d'être administrée. Les législateurs français n'ignoraient pas cette marche connue de la perversité du cœur humain; c'est pour la réfréner d'avance et veiller au moins à l'incorruptibilité d'une bonne partie de la judicature qu'ils ont eu soin d'assigner aux plus petits présidiaux au moins douze et quelquefois même vingt-quatre conseillers: et que veulent encore dire en Canada ces circuits des juges ambulants, promenant ainsi l'administration de la justice dans toutes les parties de la colonie? C'est aplanir les voies, faire naître l'occasion des procédures; c'est nourrir la fureur des procès; c'est inviter à s'y jeter à corps perdus, obstacle de nouvelle création à l'accroissement et aux progrès du Canada, où dans un mois de domination anglaise il s'est plaidé peut-être plus de causes que dans un siècle et de mi de l'empire français.

Et les appels? Oh, pour le coup, voici du fruit nouveau, mais bien amer et bien empoisonné; aussi ne sont-ils des productions ni d'Angleterre ni de France, où une détection d'erreur, par des pièces nouvelles, constitue les premiers titres d'appel. En Canada, on n'admet dans les cours d'appel que les mêmes titres juridiquement enliassés (et encore quelle informe, quelle arbitraire liasse!) qui ont dirigé le premier jugement; c'est-à-dire que c'est ce premier jugement qui se renouvelle et se reproduit. Ce n'était pas la peine de statuer des appels si abusifs. Mais quelle est en nature la jurisprudence qui rend les oracles en Canada? S'il faut juger de sa substance, par l'analogie des connaissances dont doivent avoir été imbus, par l'éducation, les magistrats qui l'administrent, il faut convenir que ce ne peut être qu'un informe monstre de jurisprudence; car voici les juges de notre province qu'on a voulu écorcher, et non pas juger. Un capitaine d'infanterie, un chirurgien-major de la garnison, actuellement en service, un négociant, et enfin un simple citoyen, qui n'entend pas une syllabe de français, et à qui, avant la sentence, un de ses collègues fait en anglais le rapport des allégués, pour l'associer, au moins de montre, au jugement que la cour va prononcer. Il faut que l'Angleterre ait conçu des idées bien contemptibles des Canadiens, pour les atteler à une si difforme magistrature. La France, contractante dans le Traité de Fontainebleau, ne se doutait pas, sans doute, qu'elle allait livrer ses anciens enfants à la merci de cette boucherie judicielle.

Ces réflexions si naturelles et modérées, après tout, (circonstance considérée) seraient, je le sais, érigées en Canada non plus seulement en libelle, mais en crime d'État, comme déshonorant l'État même, et dignes au moins de l'assassinat. Je suis au fait de la justice sabrante du pays, que je n'ai déserté, que pour ne pas payer de mon sang l'inflexible droiture et liberté de mes sentiments, sous les coups masqués de la trahison, (car un homme de mes principes n'a rien à craindre de la lâcheté des traîtres) et je n'y retournerai, que quand il plaira à l'Angleterre d'en faire au moins un séjour de sécurité pour tous les honnêtes gens. Du centre donc de cette capitale, où la vérité n'est point, encore du moins, un crime digne de mort, ce sont ces juges si cruellement travestis, et en mascarade, que je ne balance pas ici de prendre à partie, et de les constituer, à la face de toute l'Europe, les juges de leur propre cause.

Si, en 1758 et 1759, l'Angleterre avait été déterrer de l'Université de Sorbonne un vénérable docteur en théologie, pour lui remettre en main la colonelle de 60e régiment où le capitaine Fraser servait alors; de que œil cet officier aurait-il accueilli un colonel de telle fabrique, ordonnant, son bréviaire à la main, des arrangements d'un combat?

Si aujourd'hui le gouvernement détachait un boucher, (qui d'une main lourde et pesante n'a jamais su qu'assommer et saigner les bêtes domestiques) pour aller couper méthodiquement et savamment les bras et les jambes des patients dans un hôpital; M. le juge Mabane ne crierait-il pas, homme d'haleine, au meurtre, à l'assassinat, à la barbarie!

Si, pour présider à la gestion et au maniement public des transactions mercantiles nationales, on allait faire choix de quelques capitaines de dragons ou de hussards; les négociants justement indignés, ne feraient-ils pas retentir tous les échos de la bourse et du change, de leurs virulentes expostulations, contre une nomination évidemment destructive des succès et de l'avancement du commerce?

Enfin, si on allait se fourrer dans l'imaginative, d'appeler des Montagnes de Pampelune et de Sarragosse, un vieux Espagnol, à qui l'autorité publique commettrait l'intendance des affaires domestiques de M. Southouse, sauf d'en communiquer en détail la nature, à ce nouvel intendant, par un interprète; M. Southouse, ne se lamenterait-il pas en désespéré, comme un homme perdu et ruiné d'avance?

Le même contraste jure contre la nomination des deux autres juges, qui ne son entrés dans la judicature, qu'à titre de solliciteurs, mendiants de porte en porte la signature du bill de Québec. C'était bien-là un titre aux faveurs du despotisme, qui complotait, mais non de mérite adopté à un emploi judiciaire. Je n'analyse pas le reste de cette inique transaction.

La France, pénétrée d'une reconnaissance nationale, avait accueilli la nouvelle de la restauration de ses lois, décidés dans le Sénat britannique, en faveur de ses anciens sujets. Ses corps de judicature sont formés avec un choix si distingué, et des soins si délicats; d'ailleurs, chez elle, les talents son si bien à leur place. Les ânes y sont délégués pour les marchés, les bons chevaux pour les combats, et on n'y va pas imaginer, que le cheval de St-François24 puisse être aussi leste pour figurer dans une course que 25l'Éclipse d'O'Kelly. Quelle douleur, quelle humiliation donc d'apprendre aujourd'hui, que ses pauvres Canadiens ne sont devenus par ce fameux bill que des victimes livrées en proie à la merci de magistrats, qui ne sont que travestis à la française! et les chefs de la justice d'Angleterre sous les auspices présumés, de qui ces magistrats de contrebande sont censés siéger sur les tribunaux français de Québec, n'envisageront-ils pas la gloire de leurs dignités, et de leurs personnes même, comme ternie par de si ostrogothiques nominations? arguments de poids sans doute en eux-mêmes, mais bien débiles et de peu de valeur contre 500 liv. st. d'appointement que leur valent leurs places, tandis que l'honorable des conseillers du Conseil supérieur de Québec n'excédait pas 100 petits écus tournois, c'est nous faire payer bien cher d'avance, le règne des bévues, des injustices, des rapines.

J'aurais bien d'autres traits aussi dénigrants, pour achever le portrait de la prétendue judicature française de Québec; mais mon pinceau se lasse à esquisser des horreurs. Je viens aux remèdes, qui étaient l'âme primitive de ces dégoûtantes, et, hélas! que trop pittoresques peintures. La pierre générale d'achoppement, contre qui est venue échouer en corps toute la politique publique, a été la destinée civile et constitutionnelle, qui était due aux Canadiens, après la conquête: pour en décider avec précision, c'était le droit des gens qu'il fallait consulter, les lois des nations, les principes fondamentaux des sociétés, en vertu de qui ils relevaient de l'Angleterre, et non pas la Constitution de l'Angleterre, qui ne les ayant pas faits pour eux, n'était pas faite non plus pour prononcer sur cette question primitive. J'avais annoncé une discussion analysée sur ce point capital: mais le départ des derniers vaisseaux pour Québec me presse et cette épître dégénère déjà d'ailleurs, par sa longueur, en dissertation. Je ne fais qu'extraire, à la légère, les témoignages des docteurs et citer leurs principes; les lumières les plus vulgaires, conduites par l'impartialité et la droiture, suffiront pour faire lire les conséquences.

« Qu'est-ce que la guerre? C'est la plaidoirie finale d'un roi vis-à-vis d'un monarque, son égal, qui ne veut entendre à d'autres raisons que celles que le canon fait expliquer. Qu'est-ce que le droit de conquête? Il est le fils du premier; c'est le droit de punir le souverain sur les pauvres sujets; c'est-à-dire, que c'est en nature la loi du plus fort. Un droit marqué au coin de tant de violence et d'injustice ne saurait être justifié, que par les entraves de la plus indispensable nécessité: il meurt donc avec cette nécessité, qui finit elle-même avec la guerre, qui lui avait donné naissance; car, quand les deux souverains, se donnant mutuellement les mains, se jurent une amitié réciproque, il serait contre la nature que le droit de punir des sujets survécu à leur réconciliation. Quelle est donc alors la destinée nationale et civile des peuples conquis? Il faut remonter ici jusqu'à l'origine primitive des sociétés. Au sortir des mains de la nature, les hommes naissent tous égaux; quand ils se formèrent en corps de sociétés nationales, ce fut de leurs choix que se dessaisissant de leur égalité naturelle, ils érigèrent une autorité générale, qui ne fut légitimée que par leur consentement formel et positif, comme elle l'est encore aujourd'hui par le consentement tacite et présumé de leurs descendants; partez de ce principe, le seul en vertu de qui existe tous les gouvernements de l'univers; par la conquête, les peuples conquis sont arrachés à la première autorité —"gubernatrice" sous qui ils vivaient; c'est une nouvelle époque de société qui s'ouvre pour eux; ils rentrent alors dans le premier droit dont jouirent tous les peuples à la fondation primitive des sociétés, de légitimer la nouvelle autorité par leur consentement formel ou tacite. Il ne reste, au conquérant que deux sorts civils à faire aux peuples conquis: le premier est de les laisser, sous la nouvelle domination, dans l'économie de leur premier gouvernement, qu'ils avaient légitimé par leur consentement tacite sous leur premier souverain; s'il existe quelques capitulations antérieures à leur reddition, c'est d'elles qu'il faut prendre langue et suivre les leçons d'arrangement qu'elles ont précautionellement stipulées: la seconde destinée nationale de ces peuples conquis est de les associer, de gouvernement, aux propres sujets du conquérant, mais par une association complète de privilèges, prérogatives et droits quelconques des anciens sujets, parce que sans ce complément, les peuples conquis ne pourraient être censés légitimer par leur consentement une affiliation défavorable pour eux et qui ne les partageraient qu'en bâtards. Au reste, l'arrangement une fois décidé, il n'y a plus pour le conquérant à y revenir et à y rien altérer, parce que par la décision, le conquérant a cessé de l'être pour devenir simplement et légitimement roi; et qu'un roi n'est pas le maître de changer à son choix la constitution de son empire sans l'intervention libre des sujets. » — PUFFENDORF.

« Par droit de conquête, chez les peuples plus sages que nationaux, les nouveaux sujets forment la classe privilégiée des citoyens, non-seulement en vertu de cette urbanité polie, de cette humanité généreuse, qui se prescrit, comme un premier devoir de la vie civile, de faire galamment les honneurs de chez soi, mais par cet esprit de politique ingénieuse, qui, pour donner plus de consistance à des conquêtes, s'essaie par toutes sortes de prédilections à enter sur les cœurs de ces nouveaux sujets, des sentiments de zèle et de fidélité que la naître n'y avait pas plantés, fait naître et nourris. Renverser, pour un conquérant, un ordre si politique et si poli, ce serait avertir tous les peuples de la terre, contre qui il pourrait un jour tourner ses armes, de redoubler de courage et d'efforts pour ne pas tomber dans les mains d'un vainqueur, qui, mésusant de la victoire, s'en fait un titre pour s'ériger en tyran éternel des vaincus; ce serait inviter même ceux qui ont déjà succombé sous les forces de la puissance à s'armer de résistance et de fermeté pour secouer un joug que de brave gens, vaincus avec honneur, ne sont pas fait pour porter ...  » Le vertueux Espagnol. — GRATIEN.

« En vertu du contrat social, les peuples ne doivent à l'État leurs fortunes, leurs vies et tout ce qu'ils sont que parce que l'État leur fait part de ses privilèges, de ses places, de ses récompenses, des dons de la protection, un un mot de tout ce qu'il est lui-même: sans ce retour, ordonné de reconnaissance et de justice, les peuples deviendraient de vrais esclaves nationaux, réduits à se morfondre, s'épuiser, le consumer tout à fait pour un État qui les traiterait en étrangers et en bâtards, en les privant de leur part à cet héritage public, qui est, et doit être, de propriété commune et universelle dans tout État. Ces sujets ainsi mésusés seraient absous, par voie de fait, de toute redevance subsidiaire et de services quelconques, envers un État d'avance si peu généreux, si peu juste; par toute l'autorité de la nature elle-même instituant les sociétés, ils seraient absous du ferment de fidélité même; et s'ils se révoltaient, leur révolte serait de droit naturel et de convention sociale et le juste châtiment de l'injustice qui les a dépouillés d'avance.  » GROTIUS.

« Un gouvernement qui aurait deux balances, une de faveur pour des domaines privilégiés et l'autre de rigueur pour les portions de la domination, annoncerait une manie d'administration, c'est à dire la honte présente et la ruine prochaine.  » LOCKE.

« Un prince conquérant se flatterait en vain de le faire aimer des peuples conquis; il ne lui reste plus que de régner sur eux par la terreur; il doit, en politique, leur tenir la bride courte, surtout les opprimer de services et d'impôts, pour les réduire à l'impuissance de rien tenter. les grosses garnisons, surtout de troupes étrangères, comme plus tyrannisantes de leur nature, sont merveilleusement assorties à ses projets; mais il doit se tenir toujours prêt, parce que, (pa la loi naturelle du talion) à la violence dominatrice, répond toujours par le droit de nature, le droit naturel de faire ferme contre elle, quant on le peut, et au prix même du sang le plus respectable. »

Machiavel forme ici son prince, c'est-à-dire son tyran; mais en le formant il avait au moins la bonne foi de l'avertir, que ses leçons mises en pratique soulevaient contre elles la nature et l'armaient toute entière pour s'en venger. Je n'ai cité ici ce damnable Italien que parce que je sais que ce ne furent jamais les intentions de l'Angleterre de mettre les Canadiens aux prises avec elle: mais au moins ne faut-il pas se mettre dans le cas.

L'application naturelle de ces principes, que je n'ai le temps que de présenter en esquisse, atteste du premier coup, au moins au Tribunal de l'Europe, que tous les privilèges nationaux, toutes les prérogatives citoyennes, dévolues par la Constitution aux Anglais de naissance, étaient dues au Canadiens par les lois des nations, qui seules avaient, sur ce point, le droit d'être leurs juges, d'abord après la conquête. Mais la préoccupation est allée apercevoir, dans la religion de ces nouveaux sujets, un titre d'exhérédation, qui, en vertu de la constitution, les déboutait de toute prétention à cet héritage civil: et voilà l'illusion générale, qui, depuis le Traité de Fontainebleau, a fait condamner la province de Québec au plus misérable esclavage.

Mais si une telle condamnation avait été prononcée réellement par la Constitution d'Angleterre, d'abord cette constitution, (quoique la plus respectable peut-être de l'univers, dans l'économie politique) avec toute sa respectabilité intrinsèque, est postérieure en date aux lois des nations; celles-ci ne sont que les lois elles-mêmes de la nature, ordonnant des justes arrangements des sociétés. Toute législation individuelle doit céder à la nature, qui est ici la première modératrice et de préséance pour régler; voilà un axiome fondamental, dont il n'y a point d'appel, parce qu'on n'appelle pas de la nature, du moins ne le ferait-on qu'à sa honte: mais non; l'erreur n'est pas ici de la Constitution d'Angleterre, mais des fausses interprétations sur qui cette constitution a été prise: cette constitution, par son esprit intrinsèque, est l'impartialité, l'humanité, la justice, l'égalité, l'unité même, (c'est Locke qui parle, il devait bien la connaître); or une constitution si égale, si une, ne peut pas dispenser à ses sujets les douceurs et la gloire de la liberté au sein de l'Angleterre et condamner aux rigueurs et à l'infamie de l'esclavage tout un peuple à elle, dans Québec; elle ferait en contraste à elle-même et dans son contraste elle ne mériterait plus nos respects.

Mais voici l'illusion: on a confondu quelques arrêts du Parlement, encore mal saisis et mail entendus, avec la Constitution d'Angleterre; mais la constitution et le parlement sont bien loin d'être des termes synonymes: et de quelles lamentations entendons-nous tous les jours retentir les voûtes des deux Chambres du Sénat, On viole, on mine, on sape, on renverse la Constitution! Une assemblée donc, que ses propres membres supposent pouvoir ruiner la constitution, ne fait pas la constitution. Mais achevons de lever le voile de l'illusion: les actes parlementaires (sous Élisabeth et sous Guillaume III, pour assurer la succession du trône d'Angleterre au sang de la princesse Sophie) cités contre les Canadiens, décernaient, à la vérité, des lois pénales contre les catholiques; mais c'étaient des catholiques coupables de cabales et de complots contre l'État: la punition a pu de plus se perpétuer avec quelque légalité sur leurs descendants, comme les représentants des premiers criminels; les États tous les jours punissent les pères et les enfants, par la dégradation de noblesse, la confiscation des biens et autres, dont les effets passent jusques aux âges futurs: mais les Canadiens n'ont jamais trempé, ni par eux-mêmes, ni par leurs devanciers, dans une conspiration contre l'État; et pourquoi réfléchir sur des innocents avérés, des châtiments où les législateurs n'ont pu les comprendre?

L'Acte de Guillaume III contre les étrangers, est encore plus improprement appliqué aux Canadiens: une foule d'étrangers, sous le règne de ce roi, étranger lui-même, inondait l'Angleterre et menaçait le Sénat d'en altérer l'esprit de la constitution, par l'intrusion d'une politique étrangère. Pour extirper cette altération, l'acte interdit aux étrangers les acquisitions et les introductions dans les places, les dignités publiques: l'interdiction est conséquente; mais depuis quand les Canadiens sont-ils étrangers en Angleterre, aujourd'hui leur souveraine légitime et naturelle? Ces étrangers intrus dans le Sénat, tout pairs d'Angleterre qu'ils avaient été créés, n'en relevaient pas moins de leurs souverains naturels, qui par les lois des nations pouvaient encore les réclamer. Patkul, ambassadeur du czar, fut condamné à être roué par Charles XII; le rigide monarque put excéder dans la qualité du châtiment, mais non pas dans l'assomption de l'autorité en vertu de qui il l'infligeait. L'ambassadeur, malgré la décoration, n'en était pas moins le Livonien Patkul; Charles XII s'en souvenait très-bien, et que trop peut-être: mais par les lois des nations la France n'a sur les Canadiens à réclamer aucune autorité, dont elle s'est solennellement dévêtit sur le roi d'Angleterre, aujourd'hui leur seul légitime souverain. Quoi! ces Canadiens sont étrangers au milieu des domaines de leur Maître et de leur Père? L'inconséquence est palpable. Que le gouvernement pèse l'injustice de la privation des Canadiens des franchises citoyennes, dont l'État souffre autant qu'eux, comme il va bientôt s'éclaircir. J'ai cru devoir, Messieurs, cet essai, quoique mutilé, à la vindication de vos droits nationaux. D'ailleurs, les prérogatives nationales, d'une nature si relevée, d'une si vaste amplitude que j'ai maintenant à vous inviter de réclamer du Sénat britannique, me faisaient une loi d'apprendre à toute l'Angleterre les titres en vertu de qui vous ne revendiquerez que votre propre bien: sans cette explication, on aurait peut-être pris pour de l'insolence, ma hardiesse à vous suggérer tant de prétentions.


So here is the political economy of the honourable government, which would best match the dignity of a people as distinguished by their feelings as the Canadiens are, among the American nations which surround them; I submit these parts of detail for your study with all the more confidence that you are too enlightened on the nature of your own needs to fail to notice the irregularities which could have escaped the weak genius of the architect.

The bill of Quebec grants you French jurisprudence, under which you were born; it is indeed the judicature which best tallies your properties and your tastes; but to crown this assortment of laws, it is necessary that they be administered under the auspices of the famous and beneficial constitution of England: Paris will judge your heritages, but London will govern your persons. In this economy, your happiness will be accomplished in all aspects.

Here is the first stone upon which the new building of your government must rest. But here, Messieurs, let us not be easily deceived by ignorance of the constitutional genius of our adoptive fatherland; it is the letter, and the sole content of the letter, which, in English legislature, has all the force, all the authority of the law: the derived consequences, the suggested interpretations, all this beautiful apparatus, which one calls the spirit of laws, are the most beautiful displays in the world in dialectics and in logic; but in the laws of England, in terms of validity, they are nothing; all explanations are but arbitrary interpretations by the individuals: the English are not so foolish as to bend their freedom under the arbitration of some private individuals; it is the law, and the law alone, speaking and pronouncing by itself, which governs them: let us respect this way of reasoning with regards to government; it has been the rule of all free peoples; in the beautiful days of its glory and its virtue, Rome did not know any other. Let us remember here, that one formless and faulty understanding of the term lois françaises, has cost us ten years of the most crucifying servitude; we must be tired of pouring tears of blood. The first amendment to the bill of Quebec which we must request from the benevolence of the British Senate, is an authentic and resounding declaration that it is...

First article of the reform edit

French jurisprudence, which is granted to us as a legislative donation, but under the immediate and sole direction of the constitution of England relative to our persons.

Here is the first stone of our new government; but as the various parts of the reform are intended to be used as material for drafting the petitions that you owe to yourselves, and to your children, for the sovereign and the Parliament, I will always assign them, by precaution, an isolated and worthy place, so that with one glance, the eye may locate them easily.

Second article of the reform edit

The reestablishment of the law of Habeas Corpus; trials by jury, and from the powers of the governor, the subtraction [of the ability] to arbitrarily dispose of the members of the Legislative Council, the Chief Justice, the subordinate judges, and even the simple legal professionals, finally to imprison the subjects on his personal authority, and on his own procedures; here are the first and most invaluable emanations of the constitution of England that we have to reclaim for the civil resurrection of the province.(1)

You will be able to read all these very important articles, laid down in the most beautiful order, and under the most shining light, in a small writing attached to this essay; it is the works of the baron Maseres' patriotism, whose brightest of service had him be proclaimed, in London, the benefactor and the friend of the province of Quebec: this worthy patriot shone there [in Quebec] only for a flash, in the position of Attorney General, [a position] which he held but for a short time. The superiority of his lights, the extent of his knowledge, the integrity of his administration, the generosity of his disinterestedness, the most pleasant virtues in society, in the commerce of civil life, in a word, all this assembly of qualities which can make the public figure and the private individual respectable, granted him the votes of respect, recognition, and friendship: returned to London in his homeland, he devoted the long course of his days to build, of theory, the happiness of the province of Quebec; he devoted considerable sums to such a beautiful end, without ever collecting for himself anything other than the glory of being useful to you. It is to this beneficial goal that he directed his efforts and employed his powerful protections, on which his merit and his rank (one of the first on the chess-board) give him all kinds of rights to count on. His writings are the delights of people of the mind, those patriots especially who are concerned for our unfortunate province of Quebec. Lastly, to crown all these traits, the quality of Canadien is to him a title, for all those who bare it, to be ensured of his service: I can attest of honour, that at this very moment when I write, he cannot even suspect that his name could be mentioned in this essay; his modesty would be alarmed by it; but my recognition, and that of my fellow-citizens, owed to so much virtue and service this little testimony, as simple as it is sincere in its simplicity. Guided by this untiring zeal for your interests, Mr. Maseres, on March 13, 1784, assembled at his place Messieurs Powell, Adhemar, and de Lisle, your deputies, and with the openness of pure patriotism and honesty, he communicated(2) them in substance the five articles which, by their importance, give such weight to the preceding paragraph: the communication was received by a general applause; I was present, and I shared the pleasure of the concert of the decision, which can only be yours today, expressed by the means of your choice. Whatever the nature of the petitions which your wisdom will one day consider it a duty to prepare, whatever the success that must finally crown them, if there still remains in us some spark of love for our freedom, if some movement still animates us for the happiness of our posterity, we must make it a law to never grow tired of our supplications at the throne, until the legislature has sealed in an irrevocable sanction, in our favour, these first flows of the constitution of England, on which our civil existence and that of our children after us depend.

This sole sample of the constitutional freedom of England would at least bring you closer to the felicity of the freest peoples, if a too miserly economy were ever to suddenly limit you in the acquisition of the remainder of your citizens' prerogatives. Your fortunes would flower under the shade of safety, under the safeguard of the just protection of your peers; your persons would be trialled but in the courts of justice, in the sole name of the law which could call you there; the power of the governor would be pruned of the most voracious branches of his theoretical despotism: it is true that he would be left with enough branches to deploy and activate it; there is only the responsibility of his person before the laws of the province, which can, if not crown it all, at least make the safety of your national emancipation progress. Eh, what! A king of England would be in London but the first subject of the law, and this subordination is the most beautiful floret of his crown, and the most shiny privilege of his glory! All the governors of the English colonies would be dependent, as ordinary debtors, as simple subjects, of the respective laws their provinces; a governor of Jamaica would have recently seen his goods seized, exploited and auctioned, under the terms of a sentence of the colony's judicature which condemned him; but the governor of Quebec, in all the extent of the British empire, would be invested of the right to step on these laws, which bind us all, and as a privileged being, and above the remainder of men, his person would alone be free from them! But would this then be an obvious plot woven of malignant theory to invite him to violate these laws at the favour of his immunity? And such an oppressive system is reserved for Quebec only! In addition to the tyranny itself, the distinction is furiously odious; undoubtedly, we were scorned as the trash of human nature, since one had a plan of oppression made just for us. Let us call, Messieurs, upon our judgement; let us not cease to speak and plead in our favour, the laws of justice, and the rights of humanity, until the legislature has solemnly pronounced:

Third article of the reform edit

The person of the governor of Quebec is justiciable to the laws of the province.

When laws can be avenged, it is then that they are respected: without this revenge, they must fall in discredit and opprobrium: but it is time, Messieurs, to come to the branded item, the glaring piece, that must almost complete the philosopher's stone of your freedom, and to give to your new government a consistency which despotism, after that, would vainly conspire to shake. To lay your provincial felicity on such a solid and durable foundation, there must be between the governor and the peoples, a mediate body, furnished with enough provincial consequence to always be able to balance, moderate, restrain even, the power of the first in the various degrees of his exertion on the last. Today, what is each citizen? A simple individual, isolated, reduced, by a government, to himself, and his unity of inconsequent individuality. And what is the governor by the very content of his royal patent? A public figure, supported by all the prerogatives of the crown, amplified and outraged even, since he is in fact armed with the arbitrary power of the most ambitious despotism; he crushes us of the sole weight of his gigantic double power balanced by no counterweight in our favour. Eh, wait! we had and we still have to expect it, for as long as, in a conflict with him, a citizen will offer himself with such a monstrous disparity of advantages and force; but reinforce the inequality of the weapons of the weak and badly equipped combatant; wrap him with all the authority, all the protection, of a legislative and public body, which representing all the individuals of the province, is for this reason responsible to take care of the observance of the laws, under which the authority of even the governor himself is forced to bend; then any individual oppression coming from the governor will cease, because by attacking the individuals, he would arm against him the whole of the protective body, of which he depends. Here is, Messieurs, presented in its more beautiful attributes...

Fourth article of the reform edit

The institution of the Assembly.

I am not unaware, Messieurs, that a masked despotism took the initiative here, and conspired to arm you, beforehand, with indifference, dislike, alienation even, against an institution, only made to foster, of theoretical and practical policy, the national happiness of a province far away from its primitive authority. This despotism projected to fix its empire among you; its began by getting you to worry over an institution which is its enemy and is well devised to put it down: the strategy was not badly crafted to perpetuate its triumph; but reason educated at the school of a sad and unhappy experiment comes back from afar; and it is a triumph so worthy of any thinking being, that I promise myself of your uprightness and of your lights after a mature consideration of reality. On what grounds could the institution of an assembly, i.e., of a legislative body, gathering in its centre all your representatives, i.e. consisting of your most famous and most virtuous fellow-citizens, become unfavourable to your interests, and deserve, of start, your reprobation? I hear you; it is that this body of the new legislature would be authorized to tax the province, and to oppress it under the weight of taxes.

Here is, I know, this great scarecrow, which was generally used to startle your minds against the erection of an assembly; but first, Messieurs, (it is to your good faith to which I speak here) eh! which people in the universe is not subordinated to taxation? Can the State take care of the various phases of its conservation, its defence from the outside, and the economy of good order inside, without the mediation of administrators and agents, whose services it is necessary to pay and reward? And isn't it up to the citizens to support, by themselves, the expenses and expenditure which are all for them and their own needs? But don't you live today under an actual state of taxation? Eh, what are these import duties, which are imposed on all the imported food products which raise so tremendously their prices? It is in truth the chief merchant who pays, by preliminary provision, the tax, but of course you will pay it again of your own pockets with usury: the tax, although only mediate, is not less effective and affective relative to you. But did you never read, with much attention, the last statutes of the legislature, which constitutionally supplemented the power of your legislative body, and armed it de pied en cap to tax you? This body, in its present formation and constitution, is but a reserve corp all to the governor, and for the governor, who, having in his sole hands the arbitrary right to break or preserve its members, disposes of their suffrage as a sovereign; the governor, in the current shape of your government, is thus entitled to tax you, at least mediately; a miserable distinction, which does not increase your rights for as much, while not sparing your purses any more: and you are not startled by such a taxer, with so many rights, of which he would be armed to frighten you!

But here is a quite glorious circumstance, which would well differentiate the tax to your advantage, if it were statued by an assembly made out of your representatives; it would then be you who would have the pleasure and glory to be in person your own taxers: moreover, these representatives, subordinated themselves to their own injunctions, would be informed by their own interests not to overload you of a weight, which, as a necessary repercussion, would reflect on them too; their authority would even extend to the application of these taxes, to the nature, real or supposed, of the public needs, which would give rise to these taxes. So many positions fraudulently piled up on the same heads, to the degradation of these same offices, and to the ruin of the public! so many purely nominal services, but so truly paid, in spite of their simple nominality! so many frivolous, extortional, even cruel expenditures, advanced by the State, and that raise the receipt so extremely above the product of the colony! Under an assembly which would pass everything under review, the hand of the reforming economy would soon castrate these plunders of greed, as much for the relief of the State as for your own.

And these corvée, ah! do you think that a vigilant and human assembly would let them persist at the despotic level of today, i.e., without any real need for it, without any choice, without any moderation, without any reasonable allowance especially, and sufficient compensation, to the ruin of so many unfortunate farmers? But I return to the principle from which I started, because it is decisive and without appeal: the sovereignty of the State, i.e., the primitive and head justice of the colony, resides in the centre of England; it is to this court of supremacy that by right all litigations between the governor and the subjects belong: there is only a public body, such as a provincial assembly, that is continually on the way to cross, without obstacle, with success, and à point nommé, the distance which separates the province and this supreme court; it is however of this fortunately crossed passage, that must rebound the revenge and the safety of the oppressed individuals of the province: it is thus necessary, either to give a hand to the perpetual oppression of these unhappy individuals, or to raise in their favour this body of public guards, which alone can have hands long enough to reach so far a distance, and to victoriously call on the remedy for it. You are wise, Messieurs, the solidity of these reflexions could not have escaped your lights; but it is a fact that the nature of the body of assembly which up until now some talked about placing at the head of province's legislature offended you; it injured your delicacy, and obviously affected your rights (3).

They were Protestant-only assemblies, which were conceived from a short-sighted plan; we are no longer talking about such a small plan. Today, everyone in England agrees not to dispute your national prerogatives; your citizens rights are generally recognized; the law of nations gives it to you; England, under its virtuous constitution, does not know how to make violence to the law of nations: under this new constitutional aspect, there is no longer in Canada but one class of colonists, i.e., the subject-citizens, all submitted to the same Master, and united by interests: it is this sole title of subject-citizens which must decide the radical eligibility of the members of the new assembly; and it is based on this generic plan of electoral economy, that you should request its institution to the legislative power. It would be yourselves who would constitute the body of voters; you would be the supreme directors of the quality of the happy candidates to the elections. Canada, counts in its midst 125 parishes: each lord would be entitled to vote by birth to form the Upper House of the assembly, each parish would elect two members, taken indifferently from the various classes of citizens, according to whether it would please the body of voters to choose them: this last body, more numerous, would constitute the Lower House. This economy directing the shape of your assembly would not be without resembling the external decoration of the Parliament of England: by bringing you so close to the government of the capital, you would only perceive a more considerable portion of the constitutional happiness which she enjoys in substance and in mass.

The glory of such a clever plan is not for me; it is wholly due to Mr. the Baron Maseres, who, always focused on the consideration of your needs, always devoted to make them cease by effective remedies, had already crayoned its sketch during the course of his works, which deserved him, on this point in particular, but applause and general approval. He had drawn its model from the most beautiful constitutions of the colonies, the most wisely administered; for it is relevant to have you remark here, Messieurs, that Canada is the only colony of the British empire that is not decorated with the institution of an assembly, to govern it; Grenada even, which contains in its midst but a handful of French people, your old like your new compatriots, taste, almost since the Conquest, the delicious fruits of such an advantageous government. I cannot retrace you here the faithful image of extactic joy with which her children saw themselves, after the peace, given back to themselves, turned into their own taxers, their own legislators, I almost said their own sovereigns and their own kings, with the opening of their first assembly. The hearts of the Canadiens are made for great things; they know how to see them, and feel them; it is of these noble feelings, that I await the wisdom of your choice: thus we will not groan for a long time at the sight of a Canada degraded by these odious distinctions, which up until now have spoiled its glory as much as it disfigured its happiness; we will be thus, finally, be an English people, that is to say a free and happy people.

Uncertain however of the nature of your choice, I cannot put the final touch to such an important arrangement, without nuancing for you here, at any event, another plan of government, which without the erection of a house of assembly, embraces all the advantages, all these invaluable fruits of provincial administration, of which I just showed you the price: it is...

Fifth article of the reform edit

The appointment of six members, to represent Canada in the British Senate; three for the district of Quebec, and three for the district of Montreal.

Do not precipitate your judgement, until I had time to present you this new plan, with all its features, and in its entirety. I am not unaware that opulence, distributed by luck of a miserly hand, even in the first classes of our citizens of Canada, would not put at our disposal subjects who would be able to represent, with glare and external dignity, a province such as ours, in the British Senate. It would consequently be necessary to elevate their impotence with funds taken from their constituents, and to compensate the expenses of their pump and external decoration by stakes levied on all the classes of citizens. Thus our nobility would shine at the expense of the commoners, i.e. from loans taken from our poor farmers and those other citizens who are as useful as they are industrious: it would not be worth the effort for them to buy so expensively such a parliamentary promotion, which would degenerate into real public offices for the province. These are not the unpopular views which motivated me in preparing the all popular plan that I here submit to your deliberations. No; but while waiting for the revolution of times prepared and brought forward by the administrative wisdom of England, that Canada sees, in its midst, running with more abundance, the torrent of richnesses, and growing, by the increase in the circulation of gold, the fortunes of his children, it is in England, our national metropolis, that we would go to seek six gentlemen of fortune, and patriotic virtue, who could and would want to make us the honour to represent us in Parliament, i.e. to take care of our interests from there, and to prepare us, by their protection, an illustrious defence against the despotism, which, twelve hundred leagues away from the eyes of the sovereign and the senate, could very well decide to declare war on us, and to strike us of its blows of violence and cruelty.

This defence preparation, in our favour, would by itself be enough to choke in principle the occasion and the need for it. A governor, who would know that, in London, we can count on representatives in the senate to defend our rights, would hardly be tempted to attack them, i.e. to fight against stronger than himself. In the remainder, the elections in England cost nothing to the interested parties; over there, the famous bill of Mr. Grenville decided, for eternity, on the generosity, the disinterestedness, the nobility of sentiment, in one word the virtue, of the voters and the candidates. These last ones would redden not to owe their election exclusively to themselves and their own merit; therefore, they are wary no to corrupt and buy the votes out, which being always free are delivered for nothing: candidates having, of constitution, nothing to offer, the voters, also animated by such a noble spirit, have, neither in inclination nor in fact, nothing to accept; and of 548 members who sit in the name of the various electoral divisions of England, not one senator who has spent a penny for his senatorial place. What a wonder of honesty! The name of Mr. Grenville, author of such a famous and so general and virtuous revolution of the hearts, deserves to be inscribed with a distinction and a special glory, in the record of the apostles, the most famous converter of the universe. At all events, if twelve hundred leagues away from England Mr. Greenville's famous bill on the incorruptibility of elections, were to, on such a long road, lose a little of its energy, thousands of these so miserly candidates in England, in the days of their elections, would be furiously tempted to open, with full declads, their well furnished purses for you, to buy at all costs the honour of your votes; but born in the middle of wind gusts and storms, English virtue can support itself on the crossing of the seas. At least your elections would cost you nothing but a little time, wasted initially perhaps, but which would soon pay off with usury; because these happy candidates, honoured by your choice, and once elected turned into your representatives, would be strengthened by recognition and honour as so many public guards and friends, who, enlightened by your instructions, would find personal and national glory in espousing haut la main your interests, and in eloquently pleading your cause by the throne and the senate. In the shade of such a respectable protection, you would become respectable and frightening even for your governors, who would then hardly have the ideas turned towards oppression, when they would know that, to oppress you successfully and with impunity, they would have all the might of parliamentary authority to vanquish and overcome: you would be then too strong to fall victim of their weakness.

Moreover, these governors, according to the national genius, would perhaps be open to the suggestion of ambition, avid of this active representation in the senate; you would have, under the hand of your recognition, civil honors to pay the benefits which a soft and beneficial administration could grant you: here are charms sufficient enough to convert into an easy generous and benign governor, the despot, by natural inclination, the haughtier and most superb one, and even to make of a General Haldimand another Chevalier de Savile, alas! unfortunately for you and me, recently taken away from the glory and the virtue of the nation, in the midst of which his memory will never die. In the remainder, Messieurs, may the modesty of your sentiments not impose itself on the timidity your claims; perhaps a sad experiment had taught England that the wisest policy, to bind itself to the remote colonists, dictates their incorporatation in the assembly which represents the whole body of the nation, to simplify the empire, and to put it, by this incorporation in a unity of government, which is the mother of solidity and consistency.

At least your entry in the senate (if it were ever a question of it) would not degrade (4) the very majesty of the senate itself: Frenchmen have in the past illustrated, by their presence, the majesty of this august assembly: Calais, the small town of Calais, once appointed two members of Parliament, and these foreigners, (if however subjects, subjects indeed, can be foreigners in the States of their legitimate sovereign) these foreigners, say I, admitted, by introducing their virtues there, did but add gloss and glare to this famous body: History, written by a cosmopolitan mind, still speaks with praise of their services. You should note here, Messieurs, that the royal introducer, who believed it his duty, in justice for his French subjects on the continent, to introduce them in the British senate, was a despot, (Henri VIII) who, on his deathbed, prided himself with having never spared, during his reign, neither a man in his anger, nor a woman in his debauchery. What shouldn't we hope for from a sovereign who today makes the procession of all virtues reign on the throne of England? The most singular thing about this parliamentary admission of the French, is that under Edward VI, the reign of the Reform was established in England: the Calesians did not adopt it; yet their members were not expelled from their senatorial seats for that: thus one did not believe that there was a constitutional incompatibility between parliamentary dignity and non-reformation. How many reflexions to be made here! But me, I am Protestant; we must leave something to say, and especially to do for our Roman Catholics in Canada.

But in case you were not favourable to the combining of your representation in Parliament to the institution of an assembly, (two quite miscible establishments however, and quite necessary to your happiness) it would then be necessary to go back to the principles that we already defined; because, when it is the hand of reflexion (a happy reflexion) that chose them, their force and their solidity are set to subsist; these six members of Parliament would form but one body, twelve hundred leagues away from you; oppression could quietly devise to strike you with unexpected blows; and oppression, in exertion and in office, is always too long; the body which you qualify today (a little too liberally perhaps) of the sublime name of "Legislative Body", could become the "Body of your Mediators", by doubling their number up to 46. Their multiplication would bristle up the difficulty of their total corruption: but a just and wise economy should rule the terms of this increase. Their fee is [presently] set at 100 pounds sterling; reduce it in half, it would be enough, if it were honour and virtue that were to lead these legislators; and it would be too much, if a noble motive entered in the administration of their dignity.

In the remainder, the safety of the province would enjoy a more inviolable shelter, if we invested the Canadiens of the right to elect annually at least half of the 46 members of the legislative body, which, under this elective face, would offer, in spite of its mixity, at least a sample of the representation of the whole country: in this way its deliberations, brought at the feet of the throne, would announce the feelings of all of Canada, while, in the current shape of our provincial government, the ministry of England is deprived of any fixed point, of any similar pledge, to be assured of it; as such does we see him wander, on such an important article, alas, too much! à l'aventure, in the vague darkness of uncertainty and error; because our legislative body is not today dependent of any relation to the body of its citizens; insulated and concentrated in itself, it represents but its own members; if it were to claim to be speaking in the name of the generality, it would be a bold, insolent, usurper of public rights, to which one would be authorized to solemnly give the denial. Lastly, these annual elections would fix the elected legislators in the sphere of duty and fidelity toward their constituents, to whom they would depend upon for their renomination. The same yearly recurrence of election should mark the choice of the six members of Parliament, which should take place in September, to arrive in time for the usual opening of the Parliament in November. It would be to this senate to rule on the nature of the oath to administer to these senators of new creation. I have discussed at large these parts of the reform, which alone can give stability to a government made for your happiness; the other isolated and detached points require less comments; I am only making them ostensible by assigning them in paragraphs.

Six article of the reform edit

Religion.

To decorate the concession of the Roman catholic religion in Canada of all its pump, the parade of the sanction by the legislature, and after that to toss aside, in the province, the priests, who are the ministers made to perpetuate it, is to highly grant the benefit with one hand, and to take it away dully with the other; it is a kinds of a duplicity, unworthy of a nation which frankness and uprightness have, from time immemorial, characterized and marked the traits. By the way, what a narrow and particularly faulty system, that of going each year in Savoy to beg and buy up a couple of priests there, to lend them to Canada? And it is our ministers who undertook to conclude this admirable bargain! Eh, but! it is to the vicar-generals, it is to the ecclesiastical leader of the diocese to provide his flocks with a sufficient recruit of Church ministers, his responsibility commands that he be the one doing this. But State leaders! Are they made to be parish administrators? One would soon lower them to make churchwardens out of them; greater responsibilities call them elsewhere; what narrow mindedness, but the more out of place here, that it seems that by doing this the government of England was startled and took offence of a handful of priests, who isolated all by themselves, and dispersed in the parishes of Canada, helpless, without external supports, can have no influence on politics, and are fortunately reduced out of necessity to the role which the holiness of their state prescribes them; we are no longer in those disastrous days, when the tiaras and the mitres were the only crowns of the universe; it is to revive, in a way, the shame of these unhappy times, to suppose ?enters priesthood an empire?, of which since a long time the enlightened wisdom of peoples precisely striped of. Canada, by the kind of education which it provides to its youth, generally destined to the needs of agriculture, enrols but few subjects to the service of the Church. Ah well! let the bishop, by his substitutes, borrow them from other Catholic States; but for the success of this plan, it is required that the legislature, by a solemn proclamation, opens the doors of Canada to all these foreign priests who would like to devote themselves to the service of religion.

Here is the only matter, in which the political providence of the government can intervene with honour; it should establish in London an ecclesiastical court, made out of all the bishops and dignitaries of the kingdom, who will be officially appointed to juridically enquire the morals and character of these new priests; and to administer them the oath of fidelity which subjects owe à titre sacré de religion, to their legitimate sovereign. This enquiry and this oath will serve as much the glory of the wisdom of the government, as to the advantage, the good édification, and the safety of the province.

In the remainder, this free entry in Canada granted to Roman priests, is the general system adopted today in all the American colonies; this power, still in the cradle of its sovereignty, has thus far deployed a smoothness of administrative policy: one can shamelessly copy it as a model. Moreover, here is a point which should not escape the public. A great part of the Indian nations is attached to the Roman communion: this attachment binds them in trade, preferably to their fellow-members of religion. In the piteous situation, in mercantile matter, where Canada sits today, it would be well out of place to deprive it from this help, by taking away its ability to dispatch its priests, for the service of the Savage Churches. America would benefit from avoiding to neglect this.

Seventh article of the reform edit

Reform of the judicature, by the re-establishment of the Superior Council of Quebec.

Alas! it was so easy to simplify the justice system of Canada, to completely adjust it à la française, and to reduce it to a unity of equal service, and for the people and for the State; instead of the erection of these heteroclite courts, there was nothing more natural than to restore the Superior Council of Quebec, with its twenty-four law-advisers, I say advisers, legal professionals, men raised and nourished by the study of laws; and not to substitute them sword-advisers, lancet-advisers, ell-advisers and other disparate instruments, which clash with the administration of justice, and are the opprobrium of justice itself. The wages of these advisers, before the conquest, did not exceed 100 little ecus, currency of France. Considering the circulation of cash, which by enriching the province increased the price of food products, the generosity of the English government could increase the wages of the these advisers up to 100 pounds sterling. The salaries of the judges today can go up to 500 pounds and several of them who have nominally up to four or five seats for themselves. Where is the economy for the State? because, Messieurs, this public economy, you must make it the basis of all the petitions which you have to submit to the justice of England. England is getting out of a ruinous war, in which the mass of her national debts increased to a monstrous magnitude. It would be to ask that she let herself and her peoples crumble down, to solicitate expensive and costly institutions: Canada already costs her too much; but I then assure on my honour here that it is not the fault of Canada itself; if ever a body of assembly were to chair its administration and to review public expenditure, soon the colony, discharged from insane expenses, would be self-sufficient to govern itself with its established incomes, and ever to flower. I can only add here: let us continue.

To complete the order of the judicial hierarchy of Canada, it would be suitable to restore the small subordinate courts of judicature, in Trois-Rivières and in Montreal, with the old spices granted back to legal professionals. Under the French government, these spices were reduced to the sphere of the greatest moderateness; because of that did Canada hardly ever saw in its midst this voracious race, which lives off the manure of all the madnesses of humankind: hardly three or four causes were being judged in the course of one year in the Superior Council of Quebec. Ah! if this age of simplicity, innocence and peace could live again in the colony! At least it would not cost much for the return of this golden age.

Eighth article of the reform edit

Military establishment of Canada; institution of a two-battalion Canadien regiment.

Here it is only to England that I have the honour to speak. The United States of America already gathers preparations for the building of a city, at a distance of only a few miles away from Montreal. In the event of war, if the colony is not permanently equipped with an army to face the enemy, as soon as he enters, we will consequently see it descending firmly all the way at the doors of the capital, i.e., become master and sovereign of all the extent of the colony[1]: Quebec (whatever fortifications which today's a poorly calculating industry may pile up) can fall, without the expense of a single canon shot. It is only the Canadien providence, which can save it from this final destiny, imparable in any other case; but if the inhabitants are taken by surprise on the first step of the irruption, doesn't their reaction decide the fall of the capital? I stop here for an explanation; patriotism orders me to it. I will say enough to make the need of stopping the invasion clear right away. To delegate to the national troops of England this first office of resistance, would require a large army in Canada, whose value, in product, would not correspond to the value of maintenance. It is thus to the Canadiens to be their own defenders, and their principal guards: but it is necessary to initiate them, discipline them in military science, and to support them with leaders, on the traces of whom, they can go with confidence and courage to the defence of their fatherland.

A regiment of two battalions, gradually spread out in all the extent of the colony, would form in its various quarterings, by the emulation and example, the militia of the respective parishes: Canada, on this regard, would soon become all-military and soldatesque. It would then be up to it, and the bravery of its children, to defend itself; at least can I assure in advance, that if it were to fall, it would fall only with honour. This regiment should be commanded, (I hear in the subordinates places) only by Canadien officers: first, it would become an open entry to so many brave Canadien men, whose services and exploits still remain today without any reward from the nation's public gratitude, which generosity has always distinguished in all times. I will let her be judge of the following story. At the beginning of the last disorders, la renommée suddenly made it public that the American General was detaching a body of 200 men to fly to the rescue of Fort de cèdres, attacked by our militia. Our officers who were within range had but 30 Canadiens at their disposal: they hastily collected 60 savages; and, in spite of such a marked inequality, they flew off to meet the enemy, which they attacked, defeated, and demolished at the first shock: and with the 80 victorious men who remained, they made 180 captive soldiers, the commander at their head; and with this victory, Fort de cèdres fell. It is the most brilliant action to have illustrated the arms of the king in these regions; but it cost a great deal to one of our brave Canadien gentlemen, (Mr. de Montigny, the elder) who by his hand had rendered captive one of the principal enemy officers: on the departure of the Americans he paid this action with the devastation of his lands, his house, and farm turned to ashes, and of his fortune entirely ruined. These losses were modestly exposed to the justice of the government, but the treasury office answered that such was the fortune of war, which had spread identical devastations, in the English Islands of America, and that it would be of equal justice, i.e. of national impotence, to compensate.

The case is neither similar in the circumstances, nor analogous in its continuations. At the invasion of the colony, an American proclamation had guaranteed their possessions to the Canadiens, who lived quietly in their domestic properties without initially entering the national quarrel; they were enjoying their heritage in peace; it was a royal proclamation which, in the name of the Master's munificence, tear them off of their neutrality. Is it to the glory of the sovereign that subjects be deceived and fall victims of the words he spoke through the body of his representative? We would then have no respect for them nor desire to obey them: to answer by the affirmative would not be good policy for who cares about the salute of a State. The consequences would be terrible here; at the first irruption, the Canadiens would thus be forced to bury themselves in the inaction of neutrality. Would they face the devastations of a war in favour of a State which would have declared them in advance, that there is little reparation and compensation to expect from him? I request the Treasury to excuse me for this little discussion: if I loved England and the conservation of her colony less, I would have stayed silent on a matter in which nothing can interest me but my patriotism, and my fidelity to my sovereign; because it is not my own cause which I plead here: the military career was indeed that of my ancestors: special circumstances and personal tastes decided of my person elsewhere; but the safety of the colony, and our national existence depend on the exertion of these soldiers: I would groan for England even more than for me if the exertion of these brave men came to be necessarily irritated by public ingratitude.

Otherwise, the regiment would not be made up of Canadien soldiers; they would all refuse to enrol themselves in it; and even their voluntary admission would not be acceptable to them for the progress of the colony because it needs the hands of her children for the daily work of farming. This regiment would thus consist only of foreigners, to whom, for the general good, the entry of the province should be made freely under the terms of a parliamentary proclamation. It is exactly the system of today, in all the American colonies, which provide themselves only with foreign troops. The administration is no longer twelve hundred miles away from them; it resides in their very centre: the sight of the present objects must allow one's glance to be more clear-sighted, more penetrating, more judge-like.

Ninth article of the reform edit

Freedom of the press.

One word. If the colony's press continues to be captive under the constraints of the despotic authority, it will not fail to go, henceforth incognito, free itself from its obstacles, in the American city that is to be built at our door; and from there it will spread its benign influence in all corners of the province. As a faithful subject, (a glory which I claim in spite of the teeth and despite the affected and infected suspicions of the Swiss Haldimand) as a citizen, says I, attached with all my heart, and with all the force of feeling, to the cause of my king, and of all the nation, I would be mortified, that some other power than England could ever claim rights to Canadien recognition.


Tenth article of the reform edit

Institution of colleges for the education of the youth.


The clergy is richly endowed in Canada; it has built, by its own hands, seminars where candidates to priesthood are trained in youth to the virtues of their state. The providential economy of the ecclesiastical hierarchy did not contradict its ancient vigilance, and activity of all times: but are there in the colony but priests to raise? There no longer exist, in all the extent of the country national institutions where the instructed youth can be initiated to the various economic sciences, analogous to the offices of the various classes of citizens in the State. What could the State expect of a generation of children that a precocious policy of education would not have shaped for the various jobs of the State? Many citizens today send their children to France, to compensate for the shortage of public schools, which in Canada condemns the youth to never be able to develop the talents which nature could have endowed them with. A so premature expatriation returns them afterwards to their fatherland, filled with feelings dont l'esprit de nationalité se formalise. It is the fault of the public foresight; the household leaders received from nature the order to educate their families; they accomplish it, in favour of the places which favour their success.

Today, the Jesuits are reduced to four individuals in Canada, and a fifth one has been for many years fixed in England by the public authority, for the service of the State. They all reached the more-than-started autumn of life. The government could, at the moment, place them in a honourable retirement, for the few days they have left. It would then have at hand rich funds ready to be put to good use for the institution of public schools for all kinds of educations; law, navigation, fortification, etc, could be developed doctrinally in the college. I am not unaware that the goods of the Jesuits constitute a prerogative intended for the crown; but the whole body of Canada claims against this destination, which revokes the rights of the province, and is without any analogy to the primitive donation of these funds. Our former sovereigns had piled up so many seigniories and so much opulence on the Society of the Jesuits, at the condition of perceiving the benefits from it solely for the education of youth: these goods remain destined to this end, as a perpetual mortgage for this commodity; it is on these very clauses, that the conservation of the goods was irrevocably stipulated at the Capitulation of Montreal. With the dissolution of this society, in France and in all of Europe, while seizing their goods, was fulfilled the obligation which they were responsible for by the founding of new colleges, endowed by royal finance. The best, the most just of princes would not want to deviate from such virtuous models and grow richer at the expense of his subjects' education.

Eleventh article of the reform edit

National naturalization of the Canadiens in all the extent of the British Empire.

By all constitutions of the various empires of the universe, the new subjects are authentically put in possession of all the citizens rights, as soon as the settling of the conquest is sworn by a peace treaty. Access to all dignities of the State is open to them, on the same titles, and in same measures as the nation; and the right to acquire landed property is granted to them without question. Only in England, are the new subjects forever bastard and foreign in the empire of their unique sovereign, and condemned to a national slavery, by a civil exhederation. The laws of nations, protest highly against this abuse of victory; but here it involves unpleasant consequences even for the conquering State, and it leaves the Canadiens very little to glean for in the distribution of public offices in their own fatherland. A dozen places, is all the proportion that the administration has dropped into their hands: but the harvest does not answer the needs of more than 100 000 souls, raised to collect it; from there, the need for several of our citizens to expatriate; they are not allowed in England in the various bodies of the national institutions; they are forbidden to go in its centre to found territorial establishments, to buy them, own them, and to give anything for their families to inherit. Eh well! they go to France to ask their former sovereign for their readmission in His Estates, and their rehabilitation in the national and civil order; it is thus that many of our best subjects, many of our most respectable families have deserted, desert, and will continue to successively desert from Canada, of which they could be the most beautiful ornaments today.

By what fatality does a nation, famous in the universe for the spirit of wisdom and the constitutional straightness which governs her, stubbornly condemns, for 24 years, a whole people to civil exheredation and national servitude because other followers of the religion which this people professes, but to which they are attached by a title neither natural nor civil, have formerly dishonoured themselves, by crimes against the State? But the natural balance, the judicial justice of the universe, the laws of nations, the decrees of the social contract, all claim against the punishment of the innocent. The English legislature, neither in the content, nor in the spirit of its criminal laws, could only have captured the culprits, or their descendants who were the only ones falling under its jurisdiction, either really or virtually by their representation; but strangers, who were not then justiciable, who could not even have foreseen that they be one day linked to the State, who were not dependent of this State, and who were under no guilt, ah! only blindness could have included them in this sentence: but England is the first one being deceived and the first victim of this mistake, which deprives her of a number of good and rich subjects, who, prohibited from settling in her midst, with citizens rights to public places and territorial acquisitions, migrate their families and their fortunes elsewhere, fortunes often acquired under the auspices of her wisdom and her services. The more I consider the wellbeing of the State, the more I promise myself that the Parliament will not let an error so detrimental to all the nation last any longer.

Here are, Messieurs, all the principal pieces of political detail which, as a whole, can be put together for the complete formation of a happy government in the province, which undoubtedly bought this government for quite an expensive price, if only for the calamities produced by more than 20 years of a failed administration. I have tried to tie them one to another, with as much order as it was possible using the weakness of my genius; you only have to sew them with more art in a provincial petition, to be submitted to the throne and the Parliament of England; because the ministers are in the State but the agents of the executive power: it is indeed in their power, in passing lenitives and temporary modifications, to soften for a time the bitterness of the yoke which you tasted for so long: they can even, by a thoughtful choice, and as such beneficial, place over your heads a governor who would be just, human, and virtuous, who would make it a glory to wipe your tears, and to resurrect among you the reign of serenity, safety and peace; but your happiness would only be the free gift of ministerial condescension, and the natural disposition of the honest and pleasant despot who would govern you; the ministers could come back from their goodwill, take back their gifts, and plunge your back in your old misfortunes; but the happiness of an entire people must be sat on firmer and more durable bases.

The Famous founder of the confraternity of Pennsylvania (Mr. Penn) has placed at the frontispiece of his legislative code, that "Good men make good laws, and all that a people need are good administrators to be happy": he was right; but before establishing such a reasonable axiom as a single rule of the legislation for a country, we should find a reference point to be forever assured of the virtue of public servants. Undoubtedly, this enthusiastic leader of the Quakers, saisi et agité de l'esprit(5), could read in the hearts of his present and future co-religionists, but me, who do not claim the glory of the prophetic gift, I boldly sustain that it is to the goodness of laws to train the good public administrators: the virtue of the latter is so strongly due to chance and causality, that one cannot reasonably rely on it for the happiness of a whole people: but the virtue of the law is fixed; it reigns in spite of the iniquity of the executive, and the peoples are happy. It is admittedly not free from transgression; but the transgression of a law (I hear a fundamental, constitutional law of government, which is in question here) calls on the whole body of the people for revenge, or for the overthrowing of the transgressor, or for a total revolution. This doctrine, founded on the nature of the social contract, is especially sacred in England; because it was at the heart of this great and memorable revolution, which decided it forever, (at least it should be hoped for) the empire of the law, that is to say of freedom; because the later is the natural and legitimate child of the first: it is for these great lessons, Messieurs, that you cannot rely on any of the particular concessions which could be granted to you by subordinate hands, that would, consequently, be authorized to seize it back out of fancy tomorrow: law, Messieurs, the seal of the law, which forever consecrates the form of government whose choice you will have decided, here is the sole bond which can invariably attach yourselves to happiness, and happiness to yourselves: it is thus to the king sitting in Parliament that you must speak.

Twelfth article of the reform edit

Solemn delegation of Canada before the King and the Parliament of England.

Here, Messieurs, success will depend much on formalities: I am on the spot; suffer that I communicate you the experience of my eyes. You have dispatched three deputies, who are advisable as much as you want by their uprightness, patriotism, good spirit and personal merit; but they were ordinary citizens: they failed completely; by the least amount of knowledge of higher society you must have expected it. Individual merit, isolated virtue, shining only of their own internal and modest gloss, are not enough to succeed with a government; In the courts, one needs glare, grandeur, pump, to be noticed and listened; and it is only by the importance of the ambassador that the importance of the embassy is judged. After all, a province as respectable as the province of Quebec has some right to be represented grandiosely. It is from this point of view that I would advise you to form your delegation, whose members should be taken among the elite of each class of citizens; two from the clergy, two from the nobility, four from the body of traders, and four from that of the farmers: each class would defray their own deputies; it would be for each individual but a pure misery, from which you would be abundantly paid back with the success that would then surely be your. If however such a great number of deputies alarms your economy, reduce it by half, or even to a single representative for each class.

But here, a malignant influence, coming out of the impure vapours of a few false friends' passions, can only corrupt, and kill among you, to the very germ of hope of public happiness. On the first steps which the publication of these reflexions could cause to be taken, the noisy and wrathful faction of the Mabane, the Fraser, the Rouville, and a few flattering mercenaries in place over there, will at once sound the alarm in all of Canada; I can see them in advance flying from street to street, walking their sorrows and their frights, which they will try to universalize and pour in all the hearts, in favour of tumult and din; I am following them with my eyes, knocking from door to door, an address in hand, fabricated in the forging mills of imposture and lie, allied together to support the triumph of the tyranny of despotism, and, through manipulation, threats and artifices, make the frightened and surprised citizens sign a document saying that the administration of General Haldimand has been the administration of justice, humanity, benevolence, and that the current government is the sole government wisely designed for your freedom, your happiness and your glory.

Because such are the unfaithful and poisoned channels, which of source even more perfidious and diseased, led up until now State communications, regarding the current situation of our province, onto the desks of public agencies: and it is by these lying repertories, that our ministries are flattered to learn it: eh, but! would they be so little initiated to the knowledge of men, to imagine that a governor, whose heart is villain enough to play tyrants, could have enough virtue to entrust in the middle of ministers, i.e. of his judges, the evidence of his tyrannies? No; it would be to fall by his own hands, and to overthrown himself from the throne; he is wary to be his own enemy; so did he ever represent, and will he ever represent, to the public leaders, the province of Quebec, as an enchanting stay enchanter, where justice, happiness, the purest serenity reigns, without the sign of any sigh, except perhaps that of punished crime; that is to say, Messieurs, that you are and will always be presented as happy in London, at least in the court of civil administrators, even if in your fatherland you were swimming in blood and tears: and here is the lamentable illusion and the imposition which I bitterly deplored as of last December and November in my(6) letters to Milord North. My sighs and yours were then lost; are they condemned to be so forever?

At all events, Messieurs, here is a path that prepares the faction whose pernicious plots I traced the portrait a few moments before. It has absorbed in itself, all the public offices, all the emoluments and wages of the province; it is this way that it became strong, on the pinnacle of fortune; it can only maintain itself on this summit by the continuation of your humiliation, your oppression, and your slavery: it will move heaven and earth to choke, in their birth, the noble efforts by which you will try to raise up; and to consume your destruction, by consuming the triumph of the system of government which elevated it on your ruins. It is up to you to decide if your provincial existence must be sacrificed to the exaltation and the fortune of some false and perfidious citizens, and if it is appropriate for your glory, to be the idle and insensitive spectators... what do I say? ... the craftsmen and promoters of your own loss, by actively contributing to the success of the measures of these factious. I do not even hesitate to communicate you the confession of it, (because it is important to your glory, which is a part of my own) I will confess you, says I, that you were represented here as a submissive, timid and flexible people, so familiarized with obedience, and made for it, that the voice of liberty, and the sublime passions of man, would not be able to awake you, and to set yourselves in motion in order to lift even the weight of your irons, and much less to break them. All of England, well aware of your oppression, is today waiting to judge you by your courage and your firmness.

In the middle of this waiting, which your glory commands you to end soon, here is the only wish that my sincere patriotism expects in your favour: may your children, and the children of your children, return by their abundant blessings, the zeal and the love of freedom which you will deploy in the critical circumstances, in which you suffer, and never have to pour tears of blood over the faith which threatens them! because it is no longer time to let yourselves be blinded, Messieurs; it is of all your posterity, which it is question of defending and saving. Today, the government has the arrangement of the province of Québec(6) in its hands; it would take centuries to bring it back from an error of legislation it would not see against the economy of your interests and your rights; and how not to tremble before the future existence of such a sad event, since so many lying voices avert from all sides to mislay the government's justice, by surprising its good faith! There are only you as a body, Messieurs, who, by a decided and vigorous exertion, can form a counterweight, to counterbalance the actions of these enemies, unchained against your freedom. There is only you who can plead your cause with eloquence; but at least am I relying on quite authentic titles when I ensure you that, provided that you want to plead it as brave men, you will undoubtedly not lose it.

What are your claims for the reform of the unhappy government which now oppresses you? Nothing more, but as nothing less, than the prerogatives of the citizens of England; but by the content of the social contract, nature assigns them to you, the Laws of Nations ensure them to you, the constitution of the State, at least in its spirit, confirms them to you; and finally the wishes of all the patriotism of England (as much as it is possible for an ordinary person to count so many votes) wish you their plenary concession and their perfect enjoyment. Our sovereign, from who you must, at the highest level, demand justice, has been proclaimed, by the public voice, the best of princes who ever sat on the throne of England. A title, at the very least comforting to you, decorates him; he is the special protector, and by predilection of the heart, the father of Canada; this quality, well understood in the capital, should by itself be enough to redress and give life to your confidence. The ministry which governs us today enjoys, in the universal ideas, of the glory of popularity, that is to say of a patriotism decided to extend the national happiness in the most remote domains of the empire; the whole body of the people, by recognition and regard, found it honourable to design, by choice, a Parliament according to their model: finally, the minister of the department responsible for the province of Quebec, is Milord Sidney. This lord, then known only as Mr. Townshend(7), was the senator who rose up in advance with more energy and force, against the sanction given in Parliament to the bill of Quebec, because of the despotism, that he foresaw and justly predicted, would one day result from it: Milord Sidney is by honour bound to support the advances of Mr. Townshend, and to extirpate a tyranny which he had rejected and condemned before its advent.

Lastly, this great minister is, by his mother, the descendant of Sidney(8), the famous patriot who is the patron of freedom, of which he was so passionate and fond that he wished to never suffer at home anything that was not marked of his majestic livery. A blood so free, running in his veins, will not condemn to slavery a whole people of new subjects, who would come to his official court to reclaim freedom, in the name of the illustrious nation which adopted them.

Conclusion edit

I conclude, Messieurs, by the public testimony of one of England's most famous lords, (the Lord Sheffield) who, in an erudite and very patriotic book, has put, by a single stroke of the feather, the seal of confirmation on your hopes and your rights. "The wise policy of the legislature", says he, "should not balance a moment to grant the Canadians the form of government corresponding to their requests and their tastes, because the most beautiful title which England can arrange to ensure the conservation of their country, resides in their contentment and satisfaction; to lay this contentment on an unshakable basis, we make it a principle, to grant them a civil fate that is happier and more beautiful than the American colonies, which surround them, could promise to offer them."

All is said in a so precise and so public declaration: your freedom thus lay in your hands. It is only a question for you, to ask it appropriately; a people animated of such beautiful and great feelings as yours, cannot choose, preferably to their civil emancipation, the infamy of slavery, for them and all their posterity; they would cease to be themselves. The height of glory for me would be to be able to claim some share in this happy revolution which is the heart of my reflexions and my days; at least can I and must I ensure you that on its advent, your national happiness will alone suffice to console me of all my personal disgraces. I cannot conclude, by feelings worthier of you, and as your compatriot, I dare to say, worthier of me.

I have the honour of being, with the most perfect consideration,
Messieurs,
Your humble and most obedient servant,
Pierre du Calvet

Author's notes edit

  • (1) To these five articles, it would be good to add the representation of Canada in the British senate, such as it will soon be cleared up; it is a constitutional right of the Canadiens who must not forget anything to enjoy it.
  • (2) The candour and the zeal of Mr. Maseres for all the province of Quebec never burst under a more beautiful day: "You know", said he to Messrs Powell, Adhémar, and de Lisle, "that I am in charge of three requests, on behalf of the old subjects, to obtain from Parliament a House of Assembly for the province. Such an institution would forever ensure the safety of the colony; there is no hope to succeed in this, for as long as all the colonists, in concert, will not meet to demand it: but under this circumstance, would we thus leave the colony completely at the mercy of the tyranny, under which it groans? The five articles that I propose you will help to alleviate the weight of its chains; since you approve them, I will redouble of zeal and effort, to have them approved by the Parliament; keep ready to support them of your voices, and to answer on the establishment of the Assembly."
  • (3) I am not the only Protestant in the province of Quebec; but would we all be ready to protest, that we would all choose preferably to live under an all Roman Catholic Assembly, than under the present government such as it is today; and such must be, and are in fact, the feelings of all the honest people of the Roman communion, for an all Protestant Assembly, excluding perhaps some of these radically interested and servile men, whose rise in public places have forever sold to the iniquity of despotism and the despot.
  • (4) Perhaps one could add here, that the French never spoiled their association with the English, in occasions of even more pageantry; in Poitiers, the Prince noir had at his orders but two thousand English, out of eight thousand Gascons. The indicipline of most of the French nation was defeated; but wasn't this victory in good part due to the discipline of another body of the French nation, formed by the greatest hero England ever produced? Forgive the reflexion; I seek to instruct myself.
  • (5) In Quaker churches, one calls esprit, what is elsewhere called 'inspiration divine.
  • (6) Lettres à Milord North
  • (7) Here is an excerpt of the Courrier de l'Europe from Friday June 25 1784, in an article entitled Bulletin de Londres:
One speaks of dividing Canada in two government, as was Nova Scotia, and to have a Governor General for the two provinces; Lord Grantham, presides the committee responsible to prepare the administration needed for the establishments left to England on the American continent. M. Pitt, lord Sidney, Mr. Jenkinson and Mr. Dundas are the other State counsellors of the committee.
I am but a copyist here; because if I were a political commentator, I would have great State remarks to propose against this division of government, which, if it were implemented, would from the start double the employments and could very well end up dividing all the minds in the province. Simplicity is the mother of economy, and the first symbol of peace.
The following reflexion will present the contrast in all its latitude: before the past war, it was juged convenient to extend the province of Quebec all the way up to the Mississippi; now that the Peace Treaty reduced its size by half, one wants to divide it in two! inconsequence which is only suited add more creatures for the governor and have the State carry the burden of it.
  • (8) Voici les noms des personnes de marque qui s'élèvent le plus vivement contre les suites funestes de ce bill, dans la chambre basse du Parlement: Le conseiller Dunning, depuis Lord Ashburton, M. le chevalier Mackworth, M. Thomas Townshend junior, M. le chevalier Savile, M. David Hartley, le colonel Barré, le commodore Johnstone, M. Dempster, M. Edmund Burke, etc. Le Lord Maire, au nom de la ville de Londres, présenta une requête contre le bill. Dans la chambre haute, son altesse royale Mgr le duc de Gloucester, frère du roi, fut un des opposants. Hors du Parlement, M. le baron Masères, M. Hey, M. Lobinière, condamnèrent hautement ce bill, dont ils prédirent l'abus et les suites.
  • (9) Barillon, alors ambassadeur de France à Londres, raconte, dans les mémoires de son ambassade, que Sidney étant en France, montait un superbe cheval anglais, dont Louis XIV fut épris, et dont il fit demander le prix. À cette question le patriote anglais s'arme de son épée, et courant à son cheval, ami, dit-il, (car la liberté familiarise tout) tu es né libre, tu mourras tel; et sur cela il le perce, et l'étend raide sur la place. C'est exactement le fameux Virginius se ruant sur un tranchet d'une boutique voisine, en frappant sa fille, et arrosant de son sang les rues de Rome; il est vrai qu'il était question pour celui-ci de sauver l'honneur d'une Romaine, de la brutalité du tribun militaire Appius: aussi la victime, aussi généreuse que son père, tendit-elle en silence le col sous le glaive du sacrificateur; mais ce malheureux cheval aurait pu faire observer à son maître, qu'on ne luis destinait pas à Versailles un autre mords que celui qu'on lui mettait en bouche à Londres, et que mords pour mords, il valait encore mieux vivre: mais le jeu de ce monde politique, n'est que celui d'une grande comédie; la pompe, l'ostentation orne la scène, en attendant le dénouement, qui vient comme il plaît au hasard.